Navrant. Ubuesque. Aberrant. Affligeant. Grotesque. Écœurant. Honteux.
Consternant. Farcesque. Kafkaïen. Les dictionnaires de synonymes ont vite rendu
gorge chez les acteurs et les commentateurs de la tragicomédie de boulevard
gracieusement offerte par le plus grand parti de France. Le cauchemar
frénétique et profond dans lequel l’UMP s’enferre comme un hamster sur sa roue ne
laisse entrevoir aucune voie de sortie. Le pire, malgré l’engrenage du double
échec et mat et la période d’hiver nucléaire qui se profile, c’est que le parti
devrait survivre.
Et
si nous avions bel et bien une apocalypse en cette fin 2012 ? Non pas que
nous ayons à nous barricader d’éruptions de météorites ou d’attaques
d’hommes-crabes de Mars. Non, il faut ici entendre apocalypse au sens originel du
mot, « dévoilement » ou
« révélations ». Et en la
matière, il faut reconnaître que rarement tant de masques sont tombés en si peu
de temps.
Le bluff est
allé jusqu’au bout et les deux camps ont choisi le sabordage. Copé a préféré
une UMP en lambeaux que pas d’UMP du tout. Fillon a préféré pas d’UMP du tout
qu’une UMP aux mains de Copé. Ce qui est admirable d’un point de vue
psychologique, c’est que chacun a tragiquement sous-estimé, à parts égales, la
capacité de nuisance de l’autre : Fillon a à peu près autant sous-estimé
les talents d’esbroufe de Copé que le second a sous-estimé la
« virilité » politique – pour faire vite – du premier.
À dire vrai,
la vraie rupture ne vient pas du Machiavel meldois, mais bien de l’ancien Premier
ministre. Fils de notaire sarthois, chef scout diplômé de philosophie, grandissant
à l’ombre des tonitruants Séguin et Pasqua, subissant l’ire lycéenne pendant
plusieurs mois début 2005, mis à l’écart par Chirac et Villepin puis hôte
fantomatique de Matignon pendant cinq ans (« Voldemort »,
« Oncle Fétide », « Premier Sinistre »…), l’homme n’avait
pas habitué grand monde à taper du poing sur la table. Il a été si réservé ces
cinq dernières années que sa popularité est à peine sortie abîmée de la
présidence Sarkozy : pour un Premier ministre, c’est quasiment une faute
professionnelle.
Et pourtant. Contester
sa défaite deux jours après l’officialisation du résultat, menacer, vitupérer, imposer
ses conditions, traiter son parti de mafia, poser des ultimatums, fonder un
groupe parlementaire dissident ; même Copé, peut-être, ne l’aurait pas
fait. C’est le coup de force permanent, Fillon n’en finit plus de franchir le
Rubicon.
Mais sur le
Rubicon on ose tout, c’est même à ça qu’on le reconnaît.
Une évidence
tout d’abord : si la victoire avait été nette (disons 2000 voix, un gros
pourcent), rien ne se serait passé. Les fraudes auraient été passées sous silence,
comme d’habitude, et la droite française aurait gagné un sursis. Les partis
politiques ne sont historiquement pas
des organes démocratiques. Dans ce domaine, ils se contentent de cache-sexes.
Ce sont des machines à conquérir le pouvoir, pas des hautes cours de justice. La
fraude est devenue tellement institutionnelle dans les élections internes
qu’elle en est presque devenue un réflexe superstitieux. Une habitude, presque
un rite, dans lequel chacun est déculpabilisé par la triche de l’autre.
Têtes de l'exécutif RPR / UMP, de 1976 à 2012 |
Mais deux
facteurs poussaient l’UMP à ces élections internes. D’une part
« l’exigence de transparence », vertu cardinale de la modernité, ainsi
que le succès jalousé des primaires PS d’octobre 2011, encourageaient
impérieusement le parti de droite dans cette voie. Mais la transparence est un
idéal mortifère pour un parti politique. Le duel Fillon-Copé est en soi moins
violent que le choc Chirac – Balladur de 1995. La véritable transformation,
c’est que mauvaise organisation, irrégularités, bourrages d’urnes, intimidations,
manipulations se déroulent en pleine lumière, à
l’heure de Twitter et des chaînes d’info en continu. On se souvient peu, a
posteriori, à quel point le PS a été proche du gouffre il y a quatre ans, dans
la même situation (menaces de recours juridiques et tutti quanti) et à quel
point il en a bien tiré les conclusions en revenant aux bons vieux scrutins
joués d’avance.
D’autre part,
si un parti aussi personnifié que l’UMP en est réduit à organiser une élection
interne au grand jour, c’est qu’aucun leader naturel ne s’y impose comme à
l’accoutumée. Une élection a toujours quelque chose de contre-nature pour
le RPR-UMP, qui n’avait été fondé et refondé que pour porter un chef, et qui ne
survivait plus que grâce à la somme des intérêts personnels et aux entrechats
idéologiques de Nicolas Sarkozy.
Sarkozy, voilà
un autre masque de tombé. Malgré son statut de membre du conseil
constitutionnel, il a prouvé – beaucoup trop tôt – qu’il voulait revenir à
moyen terme, en sortant d’un silence profond qui le servait et en s’impliquant
dans le sauvetage des meubles. La rapidité avec laquelle se sont lancées les
invocations spiritistes à « l’Absent » (comme on appelait Napoléon
exilé sur Elbe) est à elle seule la démonstration de la fragilité de cette
droite. Sans même parler d’abîmes, le ridicule appelle le ridicule. À l’UMP,
comme le suggérait un fillonniste, il n’y a plus aucun surmoi nulle part,
toutes les barrières ont sauté en attendant le retour du père freudien…
L’absurdité
générale de la situation est renforcée par cette évidence de plus en plus
flagrante qu’il n’y avait que l’épaisseur d’un pain au chocolat entre les deux
« lignes » en présence. Tout spectateur un peu raisonnable a compris
qu’entre Copé et Fillon, il n’y a plus guère qu’une différence d’écoulement
sanguin.
Et si le véritable événement était à chercher du côté des motions ?
A Des paroles et des Actes, le 25 octobre. Déjà une image d'archives. |
Guillaume
Peltier, qui ne se définit plus comme copéiste mais comme fondateur de la
principale motion interne au parti, le très sarkolâtre « La Droite Forte »,
avançait ce 25 novembre que parmi les départements où son mouvement était
arrivé en tête se trouvaient autant de fédérations « fillonnistes »
que de « copéistes ». Preuve supplémentaire, s’il en fallait une, que
la droite ne se scindera pas sur des idées, ce qui aurait au moins permis une
remise à plat du paysage politique, mais bien sur un pugilat de petits chefs.
Et sur des alliances claniques, qui se fondent moins sur les convictions que
sur des rancœurs tenaces. Dans un monde logique, Dati, Raffarin et Guaino se
rangeraient du côté de François Fillon ; leurs rancunes mortelles pour
l’ex Premier ministre les en empêchent. Et empêchent la définition de deux
lignes claires que seraient peut-être un fillonnisme « borlooïsé »,
recentré, et un copéisme « buissonisé », « droitisé », analyses
abondamment relayées malgré leur faiblesse. Encore que pour ceux qui se
souviennent de 1995, on a assisté à des situations cocasses : par exemple
Juppé, fondateur du parti, ancien mentor de Copé, faire le jeu de Fillon, élève
de son ennemi juré Séguin…
Même si des
départs de marque ne sont pas à exclure, l’UMP devrait survivre. Trop
d’intérêts financiers et personnels sont en jeu. Et si la très périlleuse voie
judiciaire devait être entamée, elle n’aboutira au mieux que dans deux ou trois
ans, c’est-à-dire à peu près au moment du… prochain congrès de l’UMP, en 2015.
Normal.
Résultats des trois élections internes
de l’UMP :
17 novembre 2002 (Le Bourget) Alain
Juppé 79,4 %
Nicolas
Dupont-Aignan 14,9 %
3
autres candidats 5,7 %
28 novembre 2004 (Le
Bourget) Nicolas Sarkozy 85,1 %
Nicolas
Dupont-Aignan 9,1 %
Christine
Boutin 5,8 %
18 novembre 2012 Jean-François
Copé 50,03 % (COCOE) puis 50,28 %
(CONARE)
François
Fillon 49,97 % (COCOE) puis 49,72 % (CONARE)