dimanche 28 octobre 2012

Démontebourgisation



Les 17 % du Cyrano de Mâcon à la primaire socialiste et ses projets populaires de « protectionnisme intelligent » et de « démondialisation » lui promettaient un avenir dégagé parmi les cadors de la gauche. Rangé corps et âmes sous la bannière du « hollandisme révolutionnaire » théorisé par Emmanuel Todd, le voilà récompensé par un poste à la mesure de sa personnalité : le ministère des combats désespérés.




« Si on perd, on est mal. Si on gagne, on est mort ». Lucide hier et déjà largement prophétique aujourd’hui, cette phrase prononcée par le maire PS de Cherbourg Bernard Cazeneuve pendant la campagne aurait en tout cas fait un slogan plus réaliste que « Le-changement-c’est-maintenant ».
           Dans un tel contexte, l’obstination de Montebourg à prendre le pouvoir aux côtés de Hollande et consorts relève d’une sorte de témérité masochiste qui force la consternation. Dès la victoire de Hollande à la primaire, Montebourg a lancé ses services et ses troupes corps et âme pour tirer la charrue PS. Son ex-directeur de campagne, Aquilino Morelle, est devenu la « plume » de Hollande pendant la campagne. La directrice de son comité de soutien, Christiane Taubira, personnalité respectée à gauche, devenait plus tard garde des Sceaux.
            « Mieux vaut faire travailler Montebourg que de le laisser gamberger dans son coin », exhortait à l’époque un proche de Hollande, reconnaissant qu’il était important de « neutraliser » le Saône-et-Loirien. Montebourg, qui a toujours été relativement isolé au sein du PS, s’est attiré des inimitiés par son cavalier seul au fil des années. La moindre de ses incartades n’était d’ailleurs pas son coup d’éclat en tant que porte-parole de Ségolène Royal début 2007. Piégé par l’entre-soi potacho-mondain du Grand Journal de Canal +, il avait été suspendu durant un mois par Royal pour avoir lancé devant une assistance médusée que le seul défaut de la candidate socialiste était son compagnon… à l’époque un Hollande poupon, châtré, en retrait. L’ironie géniale du retournement de situation qui s’est opéré par la suite a dû le faire rire plus jaune encore.

A 20 ans, en 1982.
            Fils unique d’un fonctionnaire des impôts, petit-fils d’un notable de l’Algérie française, Arnaud Montebourg est élevé à Dijon – ville trop étroite pour ses ambitions. Lorsqu’il « monte » à Sciences-Po Paris, son panache cabot le fait vite remarquer. Le Rastignac de la Nièvre, qui a à l’époque des faux-airs de Romain Duris, fait merveille dans le registre de l’indignation à crinière – dans les lieux publics si possible.
Ce sens critique un peu trop aiguisé, un peu trop brillant, l’empêche de frayer aussi facilement qu’il le souhaiterait dans les rangs du PS. Sa méfiance instinctive pour « la vie des structures » et les « anciens trotskistes » freine ses ambitions. Fabiusien, c’est aussi un admirateur d’Edgar Faure et de Pierre Mendès-France ; sa VIe République ressemble d’ailleurs un peu à la IVe que ceux-ci voulaient.
Il rate l’ENA, devient avocat. Les débuts sont difficiles ; il supporte mal ses deux échecs consécutifs à la prestigieuse Conférence du stage, concours pour surdoués de la barre. « Ses amis lui disaient qu'il avait d'abord échoué, parce que seule la première place lui revenait de droit », raconte une amie dans Libération. « Cela ne pouvait que flatter sa vanité ». D’ailleurs, il devient premier secrétaire à sa troisième tentative.
Octobre 1995.
            Sa position lui permet d’être commis d’office à plusieurs grands procès criminels qui le révèlent. Il défend notamment en 1995 le demi-déséquilibré Christian Didier, si assoiffé de célébrité qu’afin d’être auréolé Héros du Bien il cribla de balles un René Bousquet âgé de 84 ans, en pleine instruction de son procès pour crimes contre l’humanité (8 juin 93). Maître Montebourg invente alors pour caractériser l’assassinat le très prometteur terme « crime civique ».
            Il ne faudrait néanmoins pas réduire le bougre à un beau parleur professionnel. Il perd pas mal de kilos dans ses affaires, dans lesquelles il s’investit avec une minutie proche de la paranoïa. Il circule à vélo pendant toute la période du scandale de l’appartement de Juppé, la même année. Avocat des contribuables parisiens, il a revendu sa voiture, craignant qu’on y glisse de la drogue.

Sa fascination bien peu gauchiste pour l’aristocratie est, dès cette époque, son péché mignon le plus connu. On peut lire en novembre 1995 dans Libé ce portrait perfide :

« Dans les premiers articles de presse, on lui colle souvent une particule, Arnaud de Montebourg, comme si son allure de paon bien lissé et un ton de mégaphone devaient s'accompagner d'une pincée de noblesse. Il ne rectifie pas. ‘’Manque d'authenticité par excès de composition, explique tendrement une amie : il est assez fasciné par un mélange d'aristocratie, de pouvoir et de brillance.’’ »

C’est d’ailleurs une comtesse (la balladurienne Hortense de Labriffe, ex-attachée parlementaire de Philippe Douste-Blazy) qu’il épouse en 1997, la veille du second tour des législatives qui le voient devenir député pour la première fois. Il a alors 34 ans.
            Les puissances de sang, oui, les puissances d’argent, non. Avec Vincent Peillon à l’Assemblée, il mène la lutte contre le blanchiment de capitaux en Europe. En 2001, opposant à l’immunité juridique du président, il propose une résolution du Parlement tendant au renvoi de Chirac devant la Haute Cour de justice. C’est Lionel Jospin qui fait barrage.
            Réélu député en 2002, il co-fonde avec ses camarades de la gauche du PS (Peillon, Dray, Hamon) le courant NPS (Nouveau Parti Socialiste) qui recueille 17 % (déjà) au Congrès de Dijon. Partisan du non au référendum de 2005, il ne prend cependant pas part à la campagne et se soumet au résultat. Il quitte le NPS après le Congrès du Mans et crée son propre courant d’idées au sein du parti (« Rénover maintenant ») ; dès lors, il sera un électron libre au sein des majorités internes.
            Réélu député d’extrême justesse après la défaite de 2007, il est nommé premier vice-président du groupe socialiste par Jean-Marc Ayrault. Montebourg fait alors moins l’actualité pour son élection à la tête du conseil général de Saône-et-Loire (lui longtemps farouche opposant au cumul des mandats) que pour sa liaison avec une journaliste de dix ans sa cadette, la martiniquaise Audrey Pulvar, bien connue de tous ceux qui trouvent qu’on ne fantasme pas assez souvent devant France 3.

            Sa ligne politique durant la primaire socialiste, à laquelle il déclare sa candidature dès novembre 2010, le situe assez largement comme le candidat le plus à gauche. Son livre-programme « Votez pour la démondialisation », qui propose notamment la conversion écologique et sociale du système productif et le démantèlement des agences de notation privées, marque l’opinion. Parti de 4 % dans les sondages, il crée la surprise le 9 octobre 2011 en arrivant en troisième position avec 17,2 % des voix, très loin devant Ségolène Royal.
            La gauche de la gauche étant progressivement aspirée dans le micro de Mélenchon, que pouvait-il dès lors faire ? Peu de choses, malgré son relatif succès. Partisan d’un volontarisme de type colbertiste (maîtrise de la monnaie et des frontières), Montebourg est contraint pour ne pas s’isoler de rejoindre le gouvernement le moins colbertiste de tous les temps. En fait de démondialisation, c’est surtout à une spectaculaire démontebourgisation que nous assistons en ce moment.

Le Monde du 1er octobre décrit avec angoisse : « A chaque minute, son dilemme stratégique : faut-il recevoir les patrons et les syndicats ? Se déplacer sur les sites de production ? Communiquer les statistiques, au risque de se voir opposer le manque de résultats ? » Ah, se montrer en salopette ou pas ? Enfiler un casque de minier ou pas ? S’attifer en catcheur mexicain ? En chevalier des croisades ? Ou carrément discourir à poil, par solidarité (les manifestations nudistes marchent assez bien en ce moment) ?
Le Parisien Magazine, 18 octobre 2012. Montebourg,
"craquantissime" selon Roselyne Bachelot, pose avec
une marinière Armor Lux et un mixeur Moulinex.
            Le Monde n’est pas seul à se poser ces questions essentielles. Par toute une idéologie rampante du placebo, de la méthode Coué, on a pris l’habitude de confondre la solution avec l’encouragement. Le remède avec le diagnostic. Le traitement avec la tape sur l’épaule. Le pouvoir avec l’image. En somme, la politique avec la communication. Mais tout n’est pas performatif en politique. Sans les manettes en main, croire qu’afficher son volontarisme sera suffisant revient à vouloir construire un viaduc avec un porte-voix ; et lorsqu’un membre du gouvernement est accusé de « faire du Sarkozy », c’est bien sûr dans ce sens qu’il faut l’entendre.

Montebourg se dit « interventionniste » ; si intervention il y a, elle ne ressemble qu’à celle que peut apporter une cellule de soutien psychologique après catastrophe naturelle. Une tâche que le « MRP », comme il se surnomme, prend très au sérieux. Sur Europe 1 où on lui demandait ce 7 octobre ce qu’il avait réussi à redresser jusqu’à maintenant, Montebourg a répondu « le moral des Français ». Hélas, si ce genre de traits d’humour fait les délices de Twitter pendant 12 heures, ce n’est pas ce qui redonnera la pêche à la classe ouvrière. À force on n’arrive plus à distinguer si Montebourg n’est pas le premier à se le cacher. C’est un homme politique moderne au fond, qui a fait de son impuissance sa seule gloire, au moins au vu de la façon dont il définit sa mission : « Même quand on ne peut pas, on peut. C’est le principe de ce ministère ».
Alors il quémande, il vitupère, il s’emporte, réclame la tête d’un fonctionnaire de Bercy coupable d’avoir validé l’achat de 1400 véhicules de marque étrangère pour une administration. Il brasse une quantité d’air si considérable qu’il ferait partie intégrante du parc éolien français si seulement il produisait de l’énergie au lieu de gaspiller la sienne de TGV en TGV, de réunion en conférence, de discours en colloque, de harangues en allocutions et d’interviews en bains de foule. Un seul objectif : que nul ne puisse dire dans cinq ans qu’il n’aura pas mouillé la chemise.
            On voit ses journées, on imagine ses nuits, brèves et entrecoupées de cauchemars fiévreux, le sommeil paradoxal pollué par des flashs incessants de Toyotas, de Mercedes, de hauts fourneaux déserts. Il se voit errer dans une immense usine fantôme sans issue, peuplée d’échos verdâtres d’ouvriers émaciés, le fixant de leurs yeux caves, au silence terrifiant, tandis qu’une voix spectrale lui énumère la liste des industries mortes (PSA… Floraaaange… Petropluuus… Sanofiii…) il fond en larmes et se met à répéter comme un forcené : « J’aurais pu en sauver plus ! J’AURAIS PU EN SAUVER PLUS !!! » Il se réveille momifié dans ses draps détrempés en sanglotant : « Une usine de pluuuus… Juste une usine de pluuus… », Audrey lui décoche un savant coup de coude et se rendort.

            Courage, Monsieur le ministre. Aujourd’hui est difficile, car le « jeune lion » ne s’attend jamais à prendre le coup de pied de l’âne avant même de monter sur le trône. Mais bientôt votre fonction correspondra davantage à vos aptitudes. Vous rejoindrez les rangs des présidents fantoches de la IIIe République, déposeurs de gerbe en chef, orateurs funèbres quatre étoiles, décorateurs posthumes, et vous pourrez pérorer tout votre soul sous le monument aux morts de l’industrie française. On vous fait confiance, vous trouverez les mots, le lyrisme grave, le tremblement de menton. Chers, chers disparus ! Que la gauche aimera les ouvriers, quand elle n’aura plus à les perdre !
            Ils seront avantageusement remplacés. Souvenez-vous, la société industrielle remplacée par la société de services, par les bienfaits de la sous-traitance à l’échelle globale. On gardera juste une poignée d’ouvriers pour les zones folklorisées – pardon, revalorisées – du haut patrimoine historique. J’ai moi-même eu droit à la visite guidée, cette semaine, de l’ancien site minier d’Arenberg (Nord) assurée par d’anciens mineurs bénévoles. Je tremblais à l’idée que nous aurions un jour, journalistes à la retraite, la tâche de présenter aux jeunes générations ce métier disparu lors de visites de rédactions désaffectées.

Les causes réelles du plan social le plus douloureux du moment, celui de PSA (8000 pertes d’emploi annoncées), ont été étouffées. Personne au gouvernement n’a rappelé que l’entreprise française a été contrainte par son alliance mortifère avec General Motors de renoncer intégralement au marché iranien, qui n’était nul autre que son premier marché à l’international (450 000 véhicules par an)… un embargo qui profite aujourd’hui massivement aux concurrents asiatiques directs de PSA. Élément qui échappe à tous ces éditorialistes économiques qui mettent en avant le fait que « PSA n’a pas assez délocalisé » et doit donc détruire plus d’emplois aujourd’hui pour n’en n’avoir pas assez détruit hier…
Et qui a tiré les leçons de la faillite totale de l’alliance, ou plutôt de la dévoration en 2006 d’Arcelor (ex-Usinor-Sacilor), premier producteur mondial d’acier jusqu’en 2004, par l’Indien Mittal ?
« Nous encaisserons certainement des échecs mais il faut tout tenter, y compris les solutions les plus audacieuses », professait le MRP lors de sa prise de fonctions. La récente Une du Parisien a apporté un éclairage éblouissant à cette phrase. Montebourg ose tout, c’est même à ça qu’on le reconnaît.
Normal.






Pour en lire plus :

L’Embargo iranien frappe de plein fouet PSA (Huffington Post, août 2012)