dimanche 2 décembre 2012

Bal tragique à l’UMP : deux morts





Navrant. Ubuesque. Aberrant. Affligeant. Grotesque. Écœurant. Honteux. Consternant. Farcesque. Kafkaïen. Les dictionnaires de synonymes ont vite rendu gorge chez les acteurs et les commentateurs de la tragicomédie de boulevard gracieusement offerte par le plus grand parti de France. Le cauchemar frénétique et profond dans lequel l’UMP s’enferre comme un hamster sur sa roue ne laisse entrevoir aucune voie de sortie. Le pire, malgré l’engrenage du double échec et mat et la période d’hiver nucléaire qui se profile, c’est que le parti devrait survivre.



            Et si nous avions bel et bien une apocalypse en cette fin 2012 ? Non pas que nous ayons à nous barricader d’éruptions de météorites ou d’attaques d’hommes-crabes de Mars. Non, il faut ici entendre apocalypse au sens originel du mot, « dévoilement » ou « révélations ». Et en la matière, il faut reconnaître que rarement tant de masques sont tombés en si peu de temps.
Le bluff est allé jusqu’au bout et les deux camps ont choisi le sabordage. Copé a préféré une UMP en lambeaux que pas d’UMP du tout. Fillon a préféré pas d’UMP du tout qu’une UMP aux mains de Copé. Ce qui est admirable d’un point de vue psychologique, c’est que chacun a tragiquement sous-estimé, à parts égales, la capacité de nuisance de l’autre : Fillon a à peu près autant sous-estimé les talents d’esbroufe de Copé que le second a sous-estimé la « virilité » politique – pour faire vite – du premier.
À dire vrai, la vraie rupture ne vient pas du Machiavel meldois, mais bien de l’ancien Premier ministre. Fils de notaire sarthois, chef scout diplômé de philosophie, grandissant à l’ombre des tonitruants Séguin et Pasqua, subissant l’ire lycéenne pendant plusieurs mois début 2005, mis à l’écart par Chirac et Villepin puis hôte fantomatique de Matignon pendant cinq ans (« Voldemort », « Oncle Fétide », « Premier Sinistre »…), l’homme n’avait pas habitué grand monde à taper du poing sur la table. Il a été si réservé ces cinq dernières années que sa popularité est à peine sortie abîmée de la présidence Sarkozy : pour un Premier ministre, c’est quasiment une faute professionnelle.
Et pourtant. Contester sa défaite deux jours après l’officialisation du résultat, menacer, vitupérer, imposer ses conditions, traiter son parti de mafia, poser des ultimatums, fonder un groupe parlementaire dissident ; même Copé, peut-être, ne l’aurait pas fait. C’est le coup de force permanent, Fillon n’en finit plus de franchir le Rubicon.
Mais sur le Rubicon on ose tout, c’est même à ça qu’on le reconnaît.

Une évidence tout d’abord : si la victoire avait été nette (disons 2000 voix, un gros pourcent), rien ne se serait passé. Les fraudes auraient été passées sous silence, comme d’habitude, et la droite française aurait gagné un sursis. Les partis politiques ne sont historiquement pas des organes démocratiques. Dans ce domaine, ils se contentent de cache-sexes. Ce sont des machines à conquérir le pouvoir, pas des hautes cours de justice. La fraude est devenue tellement institutionnelle dans les élections internes qu’elle en est presque devenue un réflexe superstitieux. Une habitude, presque un rite, dans lequel chacun est déculpabilisé par la triche de l’autre.
Têtes de l'exécutif RPR / UMP, de 1976 à 2012
Mais deux facteurs poussaient l’UMP à ces élections internes. D’une part « l’exigence de transparence », vertu cardinale de la modernité, ainsi que le succès jalousé des primaires PS d’octobre 2011, encourageaient impérieusement le parti de droite dans cette voie. Mais la transparence est un idéal mortifère pour un parti politique. Le duel Fillon-Copé est en soi moins violent que le choc Chirac – Balladur de 1995. La véritable transformation, c’est que mauvaise organisation, irrégularités, bourrages d’urnes, intimidations, manipulations se déroulent en pleine lumière, à l’heure de Twitter et des chaînes d’info en continu. On se souvient peu, a posteriori, à quel point le PS a été proche du gouffre il y a quatre ans, dans la même situation (menaces de recours juridiques et tutti quanti) et à quel point il en a bien tiré les conclusions en revenant aux bons vieux scrutins joués d’avance.
D’autre part, si un parti aussi personnifié que l’UMP en est réduit à organiser une élection interne au grand jour, c’est qu’aucun leader naturel ne s’y impose comme à l’accoutumée. Une élection a toujours quelque chose de contre-nature pour le RPR-UMP, qui n’avait été fondé et refondé que pour porter un chef, et qui ne survivait plus que grâce à la somme des intérêts personnels et aux entrechats idéologiques de Nicolas Sarkozy.

Sarkozy, voilà un autre masque de tombé. Malgré son statut de membre du conseil constitutionnel, il a prouvé – beaucoup trop tôt – qu’il voulait revenir à moyen terme, en sortant d’un silence profond qui le servait et en s’impliquant dans le sauvetage des meubles. La rapidité avec laquelle se sont lancées les invocations spiritistes à « l’Absent » (comme on appelait Napoléon exilé sur Elbe) est à elle seule la démonstration de la fragilité de cette droite. Sans même parler d’abîmes, le ridicule appelle le ridicule. À l’UMP, comme le suggérait un fillonniste, il n’y a plus aucun surmoi nulle part, toutes les barrières ont sauté en attendant le retour du père freudien…
L’absurdité générale de la situation est renforcée par cette évidence de plus en plus flagrante qu’il n’y avait que l’épaisseur d’un pain au chocolat entre les deux « lignes » en présence. Tout spectateur un peu raisonnable a compris qu’entre Copé et Fillon, il n’y a plus guère qu’une différence d’écoulement sanguin.
Et si le véritable événement était à chercher du côté des motions ?


Paysage politique à droite, fin 2012 (Vue d'artiste)



A Des paroles et des Actes, le 25 octobre. Déjà une image d'archives.
Guillaume Peltier, qui ne se définit plus comme copéiste mais comme fondateur de la principale motion interne au parti, le très sarkolâtre « La Droite Forte », avançait ce 25 novembre que parmi les départements où son mouvement était arrivé en tête se trouvaient autant de fédérations « fillonnistes » que de « copéistes ». Preuve supplémentaire, s’il en fallait une, que la droite ne se scindera pas sur des idées, ce qui aurait au moins permis une remise à plat du paysage politique, mais bien sur un pugilat de petits chefs. Et sur des alliances claniques, qui se fondent moins sur les convictions que sur des rancœurs tenaces. Dans un monde logique, Dati, Raffarin et Guaino se rangeraient du côté de François Fillon ; leurs rancunes mortelles pour l’ex Premier ministre les en empêchent. Et empêchent la définition de deux lignes claires que seraient peut-être un fillonnisme « borlooïsé », recentré, et un copéisme « buissonisé », « droitisé », analyses abondamment relayées malgré leur faiblesse. Encore que pour ceux qui se souviennent de 1995, on a assisté à des situations cocasses : par exemple Juppé, fondateur du parti, ancien mentor de Copé, faire le jeu de Fillon, élève de son ennemi juré Séguin…
Même si des départs de marque ne sont pas à exclure, l’UMP devrait survivre. Trop d’intérêts financiers et personnels sont en jeu. Et si la très périlleuse voie judiciaire devait être entamée, elle n’aboutira au mieux que dans deux ou trois ans, c’est-à-dire à peu près au moment du… prochain congrès de l’UMP, en 2015.
Normal.



Résultats des trois élections internes de l’UMP :

17 novembre 2002 (Le Bourget)         Alain Juppé 79,4 %
                                                           Nicolas Dupont-Aignan 14,9 %
                                                           3 autres candidats 5,7 %

28 novembre 2004 (Le Bourget)          Nicolas Sarkozy 85,1 %
                                                           Nicolas Dupont-Aignan 9,1 %
                                                           Christine Boutin 5,8 %

18 novembre 2012      Jean-François Copé 50,03 % (COCOE) puis 50,28 % (CONARE)
                                   François Fillon 49,97 % (COCOE) puis 49,72 % (CONARE)




mardi 13 novembre 2012

Choc de Copétitivité




Celui qui s’est toujours défini sans honte comme un « bébé Chirac » est aujourd’hui devenu un « bébé Sarko » par la force des choses. Jean-François Copé sort enfin de sa chrysalide, bardé de réseaux patiemment tissés, le verbe taillé en biseau. Une longue carrière de candidat s’ouvre à lui…


Deux visions du monde. Deux cosmogonies, même. Fillon contre Copé, c’est énorme. C’est la Guerre froide en mieux. C’est Rome contre Carthage, c’est Athènes contre Sparte, c’est Coca contre Pepsi.

Il ne devait pas en être ainsi. Au départ, ça ressemblait de loin à un choix plus riche que celui entre deux épaisseurs de sourcils. Fillon, élève de Séguin, devait représenter la ligne gaulliste-sociale, teintée de souverainisme. Copé, RPR pur jus, devait en représenter la ligne libérale, registre volontariste à dents de sabre. Post-bonapartisme contre post-orléanisme en somme. Alors pourquoi cet ennui profond ? Pourquoi cette impression tenace d’assister à un affrontement de néants désincarnés par deux ectoplasmes ? Pourquoi ce sentiment que tout le monde ne fait que guetter un signe de Sarkoléon à l’île d’Elbe ?
Pour être honnête, il y en a que l’issue du scrutin intéresse. Au PS, on espère Copé plus encore que ses partisans : la victoire de la ligne la plus radicale précipiterait la scission de l’opposition. Ce serait sous-estimer l’élasticité légendaire de l’UMP. Ce serait sous-estimer surtout la cohérence des différents mouvements de droite, qui semblent s’agglutiner entre eux plus par inertie et habitude que par choix. Soutenir en même temps gaullisme et fédéralisme européen, se dire humaniste et sécuritaire, ou protectionniste et libéral ne semble poser aucune espèce de cas de conscience à la Maison Bleue. Et le soutien somnambule à Copé d’un Guaino sous Prozac, ou les lauriers tressés d’un Villepin en pleine phase de délire maniaque (« qualités exceptionnelles »… « perle rare »…), n’ont en soi aucun sens intellectuel. Pas plus que l’alignement derrière Fillon de l’ancien « Occident » à sourire de scie circulaire, Gérard Longuet, ou de l’hallucinatoire cardinal Guéant.

            La différence de projet politique, on l’aura compris, est minime. Tous les sonneurs de cloches de droite et de gauche s’entendent si bien autour du carillon du choc de compétitivité – expression qui devrait à elle seule donner de violentes poussées d’anarcho-syndicalisme à n’importe quel observateur sensé – que l’intérêt s'est déplacé ailleurs.
             Non, le vrai miracle avec Jean-François Copé, c’est qu’on le voit venir depuis si longtemps et qu’on sait depuis si longtemps qu’il sera un ersatz de sarkozysme orthodoxe, qu’on se demande comment il parvient encore à produire de l’effet. Certes, il ne provoque que ceux qui veulent absolument être provoqués – ils sont nombreux. Ses bonnes histoires de ramadan appartiennent au registre du divertissement pur : du pain au chocolat et des jeux. Mais l’ironie géniale de la situation est qu’il tire aujourd’hui parti de la sarkostalgie naissante autour d’un homme avec qui ses relations ont si longtemps été exécrables.

En 1995, déjà en campagne.
           Il ne fait pas bon trop se ressembler en politique. Lorsque Sarkozy rencontre Copé au début des années 1990, il se méfie instantanément de ce faux-jumeau encombrant, de dix ans son cadet. Leurs similitudes multiples – origines d’Europe de l’Est, engagement précoce, ambitions assumées, rapport à l’argent – sont loin de les rapprocher. En 1995, le premier soutient Balladur et le second Chirac. Une apparition télévisée précoce (31 ans) le montre déjà en pleine hyperactivité de campagne, répétant à qui veut l'entendre qu'il « s'est engagé pour faire bouger les choses » et que pour que « ça bouge », «il faut faire bouger les choses ».


           Tardant trop à rallier Sarkozy en 2007, il ne décroche pas de strapontin gouvernemental. Il est savoureux de lire aujourd’hui sous sa plume des phrases comme : « Après avoir pris clairement position en faveur de sa candidature, et avoir mené campagne de toutes mes forces en sa faveur, j’ai été heureux de le voir accéder à l’Élysée. »
             Mai 2007 : Sarkozy offre en compensation à Copé un boulevard pour le poste de président de groupe des députés UMP, en échange d’un soutien sans failles en 2012. Celui-ci va en faire le navire amiral de sa reconquête. Surfant sur le mécontentement des députés UMP provoqué par « l’ouverture » et le Grenelle de l’Environnement, il n’hésite pas à affronter verbalement sa propre majorité. Sarkozy subit une cohabitation là où il ne l’attendait pas. Pendant ce temps, Copé applique scolairement la méthode Chirac : conquérir le parti de l’intérieur. Son club « Génération France » (« 0 % petites phrases, 100 % débat d’idées »), qui compte plus de 100 antennes locales et une version jeunes lancée début 2012, est son jouet. Obsédé par ses réseaux, il parvient par son influence grandissante à investir le parti. Il devient secrétaire général en 2010. Prêt à lancer enfin sa carrière politique, à 44 ans.
En 1995, la première biographie de Sarkozy s’intitulait « L’ascension d’un jeune homme pressé ». Celle de Copé, sortie en 2010, a elle pour titre… « L’homme pressé ».

On y trouve le portrait d’un enfant adoré par sa mère et pressuré sous les exigences de son père. Son père : Roland Copé, qui endosse la double casquette peu commune de proctologue à succès et acteur (il joue Pétain dans La Rafle – fils de juif roumain, il a lui-même échappé à une rafle en 1943). Le 7 mai 2002, Copé fils l’appelle pour lui annoncer qu’il vient de devenir ministre, à tout juste 38 ans. La réaction ne se fait pas attendre. « Tu as quoi ? Les Relations avec le Parlement ? C’est nul… »
            On n’ose croire à un complexe d’Œdipe : pour la figure de proue du décomplexage tous azimuts, ça ferait tache. Pourtant la carrière politique de Copé s’est jusqu’à aujourd’hui définie par une inlassable quête du père. « Il y a du Chirac en lui », plaide Jean-Pierre Raffarin. « Il y a du Sarkozy en Copé », renchérit Luc Chatel. Il paraît même qu’à une époque il était rocardien. Au point d’être devenu une propagande ambulante pour l’adoption homosexuelle : il prouve à lui seul qu’on peut avoir autant de pères et pourtant être parfaitement équilibré – du moins, il a l’air de le penser.

On en vient parfois à penser que Copé tente avant tout de se décomplexer lui-même. Beaucoup moins à l’aise que Sarkozy dans l’ouverture des vannes « people » sur sa vie privée, Copé est d’un naturel réservé voire pudique.
Sans la renier, il semble qu’il ait toujours eu des difficultés à accepter sa judéité. Il passe encore plus volontiers sous silence ses origines bourgeoises et parisiennes. Il lui arrive aussi de brocarder sa formation scolaire d’élite, notamment dans son livre « Ce que je n’ai pas appris à l’ENA » (2000). Pour casser son image de jeune loup insensible, il joue du piano jazz en public dès qu’il en a l’occasion. Surtout, il n’hésite jamais à rappeler qu’il est « maire de Meaux depuis 17 ans » (en fait, 12 des 17 dernières années).
            Copé est particulièrement fier d’avoir débarrassé les quartiers populaires meldois de leurs barres d’immeubles. En 2004, il organise un Copé Tour en bus pour les journalistes où il présente tel un conférencier toutes ses réalisations dans la ville : rénovation urbaine avec destruction des grandes barres, sécurité, redynamisation économique via une zone franche. Il présente la cité de 50 000 habitants comme une France en miniature. Message subliminal : ce que j’ai fait pour Meaux, je peux le faire pour la France.

            Il y a au moins deux autres choses qui ne le complexent pas. D’abord l’argent, du moins en privé : son amitié avec le richissime et véreux Takieddine, mais aussi sa phrase sur « les minables qui se contentent de 5000 € » sortie début 2012, participent d’ailleurs à son impopularité.
Tu veux être mon ami ?
            Ensuite, son appartenance politique. On aime à répéter qu’adolescent, les murs de sa chambres étaient ornés de posters de De Gaulle et Pompidou. S’il récuse fermement le terme de « droitisation », « ce-mot-inventé-par-la-gauche-pour-nous-interdire-de-parler-des-souffrances-des-Français », c’est qu’il a conscience d’être soupçonné de sympathies pour les idées lepénistes. En réalité, ceux qui le croient susceptible de s’allier avec le FN connaissent mal l’animal. Ce n’est pas, comme le suggérait maladroitement Fillon, qu’une question « d’origines ». Copé ne manque jamais de rappeler qu’en 1995, il devient le benjamin de l’Assemblée nationale (à 31 ans, après la nomination de Guy Drut au gouvernement). Il rappelle en général immédiatement après qu’il est en 1997 le « plus jeune député battu » de France… à cause d’une triangulaire avec le Front National.
              Copé n’est pas programmé pour accepter la défaite. La digestion est douloureuse. La période 1997-2002 est sa traversée du désert à lui. Il devient professeur d’économie à Paris VIII. Craint de ne jamais pouvoir revenir en politique. S’il idéalise la « force intérieure » qu’il a tirée de cette période, il garde une rancune tenace pour la mafia Le Pen.


               Décomplexer la droite, décomplexer la France, on vous dit. Décomplexer mais aussi décomplexifier. Démammouthiser les appareils. Écrémer les lignes idéologiques. Simplifier le langage aussi – surtout. « J’assume, car les Français ne supportent plus que l’on s’exprime avec des phrases ampoulées, moi c’est sujet-verbe-complément ! » claironne-t-il chez Jean-Jacques Bourdin ce 5 novembre. Là encore, comment ne pas penser à Sarkozy et à son « refus du style amphigourique »… Sauf que Copé est un science-piste et un énarque, et que cinq ans de porte-parolat au gouvernement laissent des séquelles irréparables sur l’expression et un arrière-goût de tronc d’arbre dans la bouche. Faire régresser son niveau de langue est un combat de tous les jours.
Heureusement avec les « éléments de langage », on peut aujourd’hui faire un discours politique avec vingt mots de vocabulaire tout en étant considéré comme un génie de la communication. Les discours de JFC atteignent aujourd’hui une pureté virtuose dans cette itération frénétique de mantras creux. Droite décomplexée. France décomplexée. Nicolas Sarkozy. France forte. Droite forte. Droite généreuse. Gauche de l’assistanat. Gauche bien-pensante. Saint-Germain-des-Prés. Gauche idéologique. Gauche sectaire. Nicolas Sarkozy. Gouvernement d’amateurs. La gauche qui met la France à genoux. Citoyenneté bradée. Inquiet pour la France. Les souffrances des Français. La réalité du terrain. Lâcheté politique. Courage politique. Opposition tonique. Résistance à la pensée unique. Pas de langue de bois. Richesse du débat d’idées. Nicolas Sarkozy. On ne peut même pas dire que ses discours sont des coques de noix ; dans les coques de noix, il y au moins quelque chose qui ressemble à un cerveau.

Pour dire bref, on retrouve chez lui le même travers chez que Sarkozy : croire que la volonté fait tout et peut tout faire, dans n’importe quel cadre. C’est exactement la même bouillabaisse d’opportunisme, de pensée magique, de foi superstitieuse dans la volonté individuelle. Sauf que Copé est en retard : à la même étape de son parcours politique, c’est-à-dire au moment de la conquête et de la dévoration du parti, Sarkozy était incomparablement plus populaire. Il portait encore la puissance d’une surprise. Copé est né trop tard, dans une France trop sarkoïsée. « De par mes parents […] je suis moi aussi, comme Nicolas Sarkozy l’a si bien exprimé le 14 janvier 2007, un ‘’petit Français de sang mêlé’’ », s’autobiographe-t-il sur son site. Rien de pire que du storytelling réchauffé. Son ambition sans bornes même paraît anachronique, alors que le pouvoir politique n’a jamais été si peu alléchant.
         Il paraît qu’aujourd’hui Sarkozy a du respect et de l’admiration pour son dauphin. C’est même Rachida Dati qui l’a révélé. Mais que la seule personne pour qui Sarkozy éprouve admiration et respect soit son reflet dans le miroir, ce n’est plus de nature à étonner personne.
              Normal.




Election du dimanche 18 novembre :

Team COPÉ

Ticket : Luc CHATEL, Michèle TABAROT

Une centaine de parlementaires :
         Députés : Patrick BALKANY, Étienne BLANC, Luc CHATEL, Henri GUAINO, Christian JACOB, Roger KAROUTCHI, Lionnel LUCA, Thierry MARIANI, Hervé NOVELLI …
         Sénateurs : Serge DASSAULT, Jean-Claude GAUDIN, Jean-Pierre RAFFARIN…
Autres personnalités : Charles BEIGBEDER, Christine BOUTIN, Rachida DATI, Brice HORTEFEUX, Nadine MORANO, Guillaume PELTIER, Jean SARKOZY, Nicolas SARKOZY (selon la rumeur)…


Team FILLON

Ticket : Laurent WAUQUIEZ, Valérie PÉCRESSE

Plus de 150 parlementaires :
         Députés : Bernard ACCOYER, François BAROIN, Xavier BERTRAND, Éric CIOTTI, Bernard DEBRÉ, Patrick DEVEDJIAN, Christian ESTROSI, Jean LEONETTI, Éric WOERTH…
         Sénateurs : Chantal JOUANNO, Gérard LONGUET…
Autres personnalités : Roselyne BACHELOT, Édouard BALLADUR, Éric BESSON, Claude GUÉANT, Jean TIBERI…


6 courants en lice :


« France moderne et humaniste »   -   Libéralisme, centrisme, fédéralisme européen (Chatel, Léonetti, Longuet, Raffarin...)
« La boîte à idées »   -   Refondation du fonctionnement partisan (Apparu, Balladur, Bertrand, Juppé, Le Maire...)
« La Droite populaire »   -   Droite « décomplexée », sécuritaire, anti-immigration (Luca, Mariani...)
« La Droite forte »   -   Héritage sarkozyste : identité, travail, mérite, anti-assistanat (Accoyer, Didier, Hortefeux, Peltier...)
« La Droite sociale »   -   Gaullisme social, centrisme, défense des classes moyennes, lutte contre l’assistanat (B.Debré, Wauquiez)
« Le gaullisme, une voie d’avenir pour la France »   -   Europe des nations, défense de la Ve République, souverainisme (Alliot-Marie, Guaino, Karoutchi, Ollier)







dimanche 28 octobre 2012

Démontebourgisation



Les 17 % du Cyrano de Mâcon à la primaire socialiste et ses projets populaires de « protectionnisme intelligent » et de « démondialisation » lui promettaient un avenir dégagé parmi les cadors de la gauche. Rangé corps et âmes sous la bannière du « hollandisme révolutionnaire » théorisé par Emmanuel Todd, le voilà récompensé par un poste à la mesure de sa personnalité : le ministère des combats désespérés.




« Si on perd, on est mal. Si on gagne, on est mort ». Lucide hier et déjà largement prophétique aujourd’hui, cette phrase prononcée par le maire PS de Cherbourg Bernard Cazeneuve pendant la campagne aurait en tout cas fait un slogan plus réaliste que « Le-changement-c’est-maintenant ».
           Dans un tel contexte, l’obstination de Montebourg à prendre le pouvoir aux côtés de Hollande et consorts relève d’une sorte de témérité masochiste qui force la consternation. Dès la victoire de Hollande à la primaire, Montebourg a lancé ses services et ses troupes corps et âme pour tirer la charrue PS. Son ex-directeur de campagne, Aquilino Morelle, est devenu la « plume » de Hollande pendant la campagne. La directrice de son comité de soutien, Christiane Taubira, personnalité respectée à gauche, devenait plus tard garde des Sceaux.
            « Mieux vaut faire travailler Montebourg que de le laisser gamberger dans son coin », exhortait à l’époque un proche de Hollande, reconnaissant qu’il était important de « neutraliser » le Saône-et-Loirien. Montebourg, qui a toujours été relativement isolé au sein du PS, s’est attiré des inimitiés par son cavalier seul au fil des années. La moindre de ses incartades n’était d’ailleurs pas son coup d’éclat en tant que porte-parole de Ségolène Royal début 2007. Piégé par l’entre-soi potacho-mondain du Grand Journal de Canal +, il avait été suspendu durant un mois par Royal pour avoir lancé devant une assistance médusée que le seul défaut de la candidate socialiste était son compagnon… à l’époque un Hollande poupon, châtré, en retrait. L’ironie géniale du retournement de situation qui s’est opéré par la suite a dû le faire rire plus jaune encore.

A 20 ans, en 1982.
            Fils unique d’un fonctionnaire des impôts, petit-fils d’un notable de l’Algérie française, Arnaud Montebourg est élevé à Dijon – ville trop étroite pour ses ambitions. Lorsqu’il « monte » à Sciences-Po Paris, son panache cabot le fait vite remarquer. Le Rastignac de la Nièvre, qui a à l’époque des faux-airs de Romain Duris, fait merveille dans le registre de l’indignation à crinière – dans les lieux publics si possible.
Ce sens critique un peu trop aiguisé, un peu trop brillant, l’empêche de frayer aussi facilement qu’il le souhaiterait dans les rangs du PS. Sa méfiance instinctive pour « la vie des structures » et les « anciens trotskistes » freine ses ambitions. Fabiusien, c’est aussi un admirateur d’Edgar Faure et de Pierre Mendès-France ; sa VIe République ressemble d’ailleurs un peu à la IVe que ceux-ci voulaient.
Il rate l’ENA, devient avocat. Les débuts sont difficiles ; il supporte mal ses deux échecs consécutifs à la prestigieuse Conférence du stage, concours pour surdoués de la barre. « Ses amis lui disaient qu'il avait d'abord échoué, parce que seule la première place lui revenait de droit », raconte une amie dans Libération. « Cela ne pouvait que flatter sa vanité ». D’ailleurs, il devient premier secrétaire à sa troisième tentative.
Octobre 1995.
            Sa position lui permet d’être commis d’office à plusieurs grands procès criminels qui le révèlent. Il défend notamment en 1995 le demi-déséquilibré Christian Didier, si assoiffé de célébrité qu’afin d’être auréolé Héros du Bien il cribla de balles un René Bousquet âgé de 84 ans, en pleine instruction de son procès pour crimes contre l’humanité (8 juin 93). Maître Montebourg invente alors pour caractériser l’assassinat le très prometteur terme « crime civique ».
            Il ne faudrait néanmoins pas réduire le bougre à un beau parleur professionnel. Il perd pas mal de kilos dans ses affaires, dans lesquelles il s’investit avec une minutie proche de la paranoïa. Il circule à vélo pendant toute la période du scandale de l’appartement de Juppé, la même année. Avocat des contribuables parisiens, il a revendu sa voiture, craignant qu’on y glisse de la drogue.

Sa fascination bien peu gauchiste pour l’aristocratie est, dès cette époque, son péché mignon le plus connu. On peut lire en novembre 1995 dans Libé ce portrait perfide :

« Dans les premiers articles de presse, on lui colle souvent une particule, Arnaud de Montebourg, comme si son allure de paon bien lissé et un ton de mégaphone devaient s'accompagner d'une pincée de noblesse. Il ne rectifie pas. ‘’Manque d'authenticité par excès de composition, explique tendrement une amie : il est assez fasciné par un mélange d'aristocratie, de pouvoir et de brillance.’’ »

C’est d’ailleurs une comtesse (la balladurienne Hortense de Labriffe, ex-attachée parlementaire de Philippe Douste-Blazy) qu’il épouse en 1997, la veille du second tour des législatives qui le voient devenir député pour la première fois. Il a alors 34 ans.
            Les puissances de sang, oui, les puissances d’argent, non. Avec Vincent Peillon à l’Assemblée, il mène la lutte contre le blanchiment de capitaux en Europe. En 2001, opposant à l’immunité juridique du président, il propose une résolution du Parlement tendant au renvoi de Chirac devant la Haute Cour de justice. C’est Lionel Jospin qui fait barrage.
            Réélu député en 2002, il co-fonde avec ses camarades de la gauche du PS (Peillon, Dray, Hamon) le courant NPS (Nouveau Parti Socialiste) qui recueille 17 % (déjà) au Congrès de Dijon. Partisan du non au référendum de 2005, il ne prend cependant pas part à la campagne et se soumet au résultat. Il quitte le NPS après le Congrès du Mans et crée son propre courant d’idées au sein du parti (« Rénover maintenant ») ; dès lors, il sera un électron libre au sein des majorités internes.
            Réélu député d’extrême justesse après la défaite de 2007, il est nommé premier vice-président du groupe socialiste par Jean-Marc Ayrault. Montebourg fait alors moins l’actualité pour son élection à la tête du conseil général de Saône-et-Loire (lui longtemps farouche opposant au cumul des mandats) que pour sa liaison avec une journaliste de dix ans sa cadette, la martiniquaise Audrey Pulvar, bien connue de tous ceux qui trouvent qu’on ne fantasme pas assez souvent devant France 3.

            Sa ligne politique durant la primaire socialiste, à laquelle il déclare sa candidature dès novembre 2010, le situe assez largement comme le candidat le plus à gauche. Son livre-programme « Votez pour la démondialisation », qui propose notamment la conversion écologique et sociale du système productif et le démantèlement des agences de notation privées, marque l’opinion. Parti de 4 % dans les sondages, il crée la surprise le 9 octobre 2011 en arrivant en troisième position avec 17,2 % des voix, très loin devant Ségolène Royal.
            La gauche de la gauche étant progressivement aspirée dans le micro de Mélenchon, que pouvait-il dès lors faire ? Peu de choses, malgré son relatif succès. Partisan d’un volontarisme de type colbertiste (maîtrise de la monnaie et des frontières), Montebourg est contraint pour ne pas s’isoler de rejoindre le gouvernement le moins colbertiste de tous les temps. En fait de démondialisation, c’est surtout à une spectaculaire démontebourgisation que nous assistons en ce moment.

Le Monde du 1er octobre décrit avec angoisse : « A chaque minute, son dilemme stratégique : faut-il recevoir les patrons et les syndicats ? Se déplacer sur les sites de production ? Communiquer les statistiques, au risque de se voir opposer le manque de résultats ? » Ah, se montrer en salopette ou pas ? Enfiler un casque de minier ou pas ? S’attifer en catcheur mexicain ? En chevalier des croisades ? Ou carrément discourir à poil, par solidarité (les manifestations nudistes marchent assez bien en ce moment) ?
Le Parisien Magazine, 18 octobre 2012. Montebourg,
"craquantissime" selon Roselyne Bachelot, pose avec
une marinière Armor Lux et un mixeur Moulinex.
            Le Monde n’est pas seul à se poser ces questions essentielles. Par toute une idéologie rampante du placebo, de la méthode Coué, on a pris l’habitude de confondre la solution avec l’encouragement. Le remède avec le diagnostic. Le traitement avec la tape sur l’épaule. Le pouvoir avec l’image. En somme, la politique avec la communication. Mais tout n’est pas performatif en politique. Sans les manettes en main, croire qu’afficher son volontarisme sera suffisant revient à vouloir construire un viaduc avec un porte-voix ; et lorsqu’un membre du gouvernement est accusé de « faire du Sarkozy », c’est bien sûr dans ce sens qu’il faut l’entendre.

Montebourg se dit « interventionniste » ; si intervention il y a, elle ne ressemble qu’à celle que peut apporter une cellule de soutien psychologique après catastrophe naturelle. Une tâche que le « MRP », comme il se surnomme, prend très au sérieux. Sur Europe 1 où on lui demandait ce 7 octobre ce qu’il avait réussi à redresser jusqu’à maintenant, Montebourg a répondu « le moral des Français ». Hélas, si ce genre de traits d’humour fait les délices de Twitter pendant 12 heures, ce n’est pas ce qui redonnera la pêche à la classe ouvrière. À force on n’arrive plus à distinguer si Montebourg n’est pas le premier à se le cacher. C’est un homme politique moderne au fond, qui a fait de son impuissance sa seule gloire, au moins au vu de la façon dont il définit sa mission : « Même quand on ne peut pas, on peut. C’est le principe de ce ministère ».
Alors il quémande, il vitupère, il s’emporte, réclame la tête d’un fonctionnaire de Bercy coupable d’avoir validé l’achat de 1400 véhicules de marque étrangère pour une administration. Il brasse une quantité d’air si considérable qu’il ferait partie intégrante du parc éolien français si seulement il produisait de l’énergie au lieu de gaspiller la sienne de TGV en TGV, de réunion en conférence, de discours en colloque, de harangues en allocutions et d’interviews en bains de foule. Un seul objectif : que nul ne puisse dire dans cinq ans qu’il n’aura pas mouillé la chemise.
            On voit ses journées, on imagine ses nuits, brèves et entrecoupées de cauchemars fiévreux, le sommeil paradoxal pollué par des flashs incessants de Toyotas, de Mercedes, de hauts fourneaux déserts. Il se voit errer dans une immense usine fantôme sans issue, peuplée d’échos verdâtres d’ouvriers émaciés, le fixant de leurs yeux caves, au silence terrifiant, tandis qu’une voix spectrale lui énumère la liste des industries mortes (PSA… Floraaaange… Petropluuus… Sanofiii…) il fond en larmes et se met à répéter comme un forcené : « J’aurais pu en sauver plus ! J’AURAIS PU EN SAUVER PLUS !!! » Il se réveille momifié dans ses draps détrempés en sanglotant : « Une usine de pluuuus… Juste une usine de pluuus… », Audrey lui décoche un savant coup de coude et se rendort.

            Courage, Monsieur le ministre. Aujourd’hui est difficile, car le « jeune lion » ne s’attend jamais à prendre le coup de pied de l’âne avant même de monter sur le trône. Mais bientôt votre fonction correspondra davantage à vos aptitudes. Vous rejoindrez les rangs des présidents fantoches de la IIIe République, déposeurs de gerbe en chef, orateurs funèbres quatre étoiles, décorateurs posthumes, et vous pourrez pérorer tout votre soul sous le monument aux morts de l’industrie française. On vous fait confiance, vous trouverez les mots, le lyrisme grave, le tremblement de menton. Chers, chers disparus ! Que la gauche aimera les ouvriers, quand elle n’aura plus à les perdre !
            Ils seront avantageusement remplacés. Souvenez-vous, la société industrielle remplacée par la société de services, par les bienfaits de la sous-traitance à l’échelle globale. On gardera juste une poignée d’ouvriers pour les zones folklorisées – pardon, revalorisées – du haut patrimoine historique. J’ai moi-même eu droit à la visite guidée, cette semaine, de l’ancien site minier d’Arenberg (Nord) assurée par d’anciens mineurs bénévoles. Je tremblais à l’idée que nous aurions un jour, journalistes à la retraite, la tâche de présenter aux jeunes générations ce métier disparu lors de visites de rédactions désaffectées.

Les causes réelles du plan social le plus douloureux du moment, celui de PSA (8000 pertes d’emploi annoncées), ont été étouffées. Personne au gouvernement n’a rappelé que l’entreprise française a été contrainte par son alliance mortifère avec General Motors de renoncer intégralement au marché iranien, qui n’était nul autre que son premier marché à l’international (450 000 véhicules par an)… un embargo qui profite aujourd’hui massivement aux concurrents asiatiques directs de PSA. Élément qui échappe à tous ces éditorialistes économiques qui mettent en avant le fait que « PSA n’a pas assez délocalisé » et doit donc détruire plus d’emplois aujourd’hui pour n’en n’avoir pas assez détruit hier…
Et qui a tiré les leçons de la faillite totale de l’alliance, ou plutôt de la dévoration en 2006 d’Arcelor (ex-Usinor-Sacilor), premier producteur mondial d’acier jusqu’en 2004, par l’Indien Mittal ?
« Nous encaisserons certainement des échecs mais il faut tout tenter, y compris les solutions les plus audacieuses », professait le MRP lors de sa prise de fonctions. La récente Une du Parisien a apporté un éclairage éblouissant à cette phrase. Montebourg ose tout, c’est même à ça qu’on le reconnaît.
Normal.






Pour en lire plus :

L’Embargo iranien frappe de plein fouet PSA (Huffington Post, août 2012)





lundi 2 juillet 2012

Valls a mis le temps



Sa femme, la violoniste Anne Gravoin, avait été prévenue par le président normal le soir du 6 mai à la Bastille : « Je t’emprunte ton homme, tu ne vas pas beaucoup le voir pendant 5 ans… ». Le Catalan a donc réalisé son premier rêve : devenir le « premier flic de France », comme Clemenceau, son idole politique – et comme Sarkozy, avec lequel la comparaison l’agace prodigieusement. Mais que vouliez-vous que Valls devienne ?


Qu’elle a été commentée, cette fameuse cote d’avenir du Figaro Magazine où Manuel Valls s’est vu propulsé en tête du gouvernement : 41 % des Français, semble-t-il, « souhaitent lui voir jouer un rôle important au cours des mois et années à venir ». Devant Fabius, Montebourg, Moscovici et Vallaud-Belkacem pour citer les autres ministres d'Ayrault I et II. Valls se rapproche même aujourd’hui du luxueux titre de « personnalité de gauche préférée des Français » derrière Jack Lang, le pétillant haut dignitaire techno et ex-Surintendant des Plaisirs, et Delanoë, le fringant promoteur balnéaire des littoraux parisiens.
Valls n’est pas un nourrisson politique. Mais cela fait si longtemps qu’on le classe parmi les « jeunes lions » ou les « éléphanteaux » au sein de la savane socialiste que Manuel Valls a fait oublier son âge ; en fait, cela fait si longtemps qu’on le range parmi les « quadras »… qu’il va finir par atteindre les 50 ans, à la mi-août (on peut faire la même remarque pour un autre franc-tireur du PS, Montebourg, dont Valls est l’aîné pour trois mois et demi).

Si le parcours de Valls a été tortueux, c’est qu’il a toujours mis un soin particulier à miser systématiquement sur le mauvais cheval. Son statut de rocardien de la première heure (il adhère au PS dès sa majorité, en septembre 1980) lui a certes permis d’infiltrer les réseaux de la « Deuxième gauche », contre les mitterrandiens, mais c’était à une époque où son idole Michel Rocard semblait encore avoir un destin présidentiel.
Ses années 90 sont marquées par des prises de fonctions secondaires au sein du PS, mais surtout par deux échecs cuisants aux élections législatives. En 1993 dans le Val d’Oise, Manuel Valls est sèchement battu dès le premier tour – une défaite qu’on ne peut mettre entièrement sur le compte de sa cravate en soie bariolée et de sa veste bleu canard. En 1997, dans la circonscription d’Argenteuil, il est défait par le maître des lieux, le communiste Robert Hue. Par défaut, il devient alors conseiller en communication de Lionel Jospin.
C’est auprès de Jospin qu’il est rattrapé par la sordide affaire de la MNEF. Ressort des archives une lettre de Valls datée de décembre 1990 – il était alors chargé de mission de Rocard à Matignon – qui mettait en lumière le chantage exercé par le PS sur feu la Mutuelle nationale des étudiants de France, et les liens troubles existant entre elle et Matignon, notamment par l’entremise des lambertistes et de l’éminence grise tous azimuts Alain Bauer… L’affaire de la MNEF, largement oubliée aujourd’hui, avait entaché des personnalités comme Cambadélis, Strauss-Kahn, Harlem Désir ou Julien Dray entre 1998 et 2004 ; le financement d’associations comme SOS Racisme avait aussi été mis en cause, mais c’est le véreux trésorier de la MNEF seul, Olivier Spitakhis, qui avait été finalement condamné à 18 mois de prison pour détournements de fonds publics et emplois fictifs.

Valls renonce à « sa banlieue », le Val d’Oise, pour partir à la conquête d’Évry. Il arrive en territoire conquis dans la préfecture de l’Essonne, ville socialiste depuis 1977, ce qui est loin de plaire au maire-adjoint PS Pierre-Jean Banuls, qui enclenche contre lui une campagne d’une violence rare. « Évry n’a pas besoin d’une tête de liste parachutée, technocrate, ne tenant pas parole, carriériste », pilonnent ses tracts. « Ce n’est qu’un apparatchik, particulièrement connaisseur des environnements confortables des cabinets ministériels », « un technocrate sans carrure, sans chaleur, sans charisme ».
Banuls parvient à pousser Valls à la triangulaire, mais ne peut empêcher sa victoire. Valls devient même enfin député l’année suivante, en 2002.
« Evry, ou l’histoire d’une belle idée qui a échoué. Des rues larges, un parc au milieu de la ville, des immeubles signés d’architectes de renom, jusqu’à la cathédrale, la seule érigée en France au XXe siècle, Evry ce devait être « la banlieue autrement ». Mais la « ville nouvelle » a mal vieilli, ses quartiers, où toutes les classes sociales devaient cohabiter, se sont dégradés. Peu ou pas de vie culturelle, des rues désertes le soir », résume de façon désenchantée le reportage de France 2 à l’époque.
            « Aucun recoin de la ville ne doit être laissé aux voyous » déclare le nouveau maire, à contre-courant de la rhétorique de son parti. Fin 2002, il s’oppose médiatiquement (et vainement) à l’installation d’une supérette entièrement hallal, symbole de la communautarisation de la ville. Depuis, Valls a mis en place la télésurveillance des commerces et doublé les effectifs de police municipale ; malgré cela, la circonscription d’Évry se classe au 5è rang national pour la criminalité des agglomérations de 100 000 à 250 000 habitants.

            En 2004, il rejoint un temps Fabius dans sa campagne contre le traité constitutionnel, avant d’effectuer un spectaculaire virage à 180° accompagné d’une pirouette langagière étourdissante : « J’étais partisan du non, mais face à la montée du non, je vote oui ». Valls a depuis résolument rallié les rangs fédéralistes, et défendu la ratification du traité de Lisbonne.
            Le 2 août 2006, il lance un vibrant appel à la candidature de Lionel Jospin (« un homme d’État expérimenté, solide et cohérent, capable de porter une vision, de redonner du sens à la fonction suprême »). Moins de deux mois plus tard, son champion jette piteusement l’éponge.
            En novembre 2008, sa vision politique et stratégique est à nouveau prise en défaut. Soutenant Ségolène Royal jusqu’au bout de la farce, c’est-à-dire en réclamant l’arbitrage d’un tribunal sur les soupçons de fraude favorable à Aubry, il se brouille définitivement avec cette dernière, qui lui suggère de quitter le PS. Il faut dire que Valls multiplie alors les déclarations sur la nécessité de refonder et rebaptiser un PS en état de décomposition. « Le mot socialiste ne veut plus rien dire », « c’est minuit moins le quart, là, avant la mort clinique du PS », estime-t-il sur I-télé en juin 2009, après l’échec des Européennes.
            C’est à la même époque que Valls est pris la main dans le sac en plein délit de constat d’évidence. À Évry, au cours d’une brocante, il oublie son micro et lâche à un collaborateur : « Belle image de la ville d’Évry. Tu me mets quelques blancs, quelques white, quelques blancos… » La présentatrice de l’émission de Direct 8 sur laquelle est diffusée l’image n’est alors autre que… Valérie Trierweiler.
            En 2010, Valls met à nouveaux les pieds dans le plat en proposant de « déverrouiller » une réforme symbolique de l’ère Jospin / Strauss-Kahn / Aubry : les 35 heures. « Valls embarrasse le PS et réjouit l’UMP », se pourlèche Le Figaro.



L’Express titrait la semaine dernière : « Valls, le socialiste de droite » – oxymore de pacotille au demeurant ; on attend encore ce titre véritablement provocateur et subversif que serait « Untel, le socialiste de gauche ». Le Monde Diplomatique, sur son site internet, osait même intituler un portrait au vinaigre : « Vous avez aimé Claude Guéant ? Vous adorerez Manuel Valls ».
            Nostalgique du service militaire, se revendiquant de la gauche « clintonienne » ou « blairiste », désireux de « réconcilier la gauche avec le libéralisme », il faut dire que Valls prête le flanc aux procès en « droitisme ».
Le choix de Manuel Valls à la place Beauvau est un signe clair envoyé à la droite ; l’UMP, parti d’opposition pour la première fois de son existence, ne peut même pas attaquer à cette faille de l’armure qu’était le « laxisme angéliste maternant » de la gauche socialiste. Pour compenser, la droite n’en peut plus de beurrer des couches d’onguent perfide sur le nouveau ministre. Jean-François Copé a pris la peine de le féliciter au téléphone, « sincèrement heureux de sa nomination » ; Claude Guéant se montrait dithyrambique sur le choix de son directeur de cabinet, le préfet Jean Daubigny ; Brice Hortefeux lui a également laissé un message ; quant à Christian Estrosi, il confiait : « Manuel et moi, quelle différence ? On parle le même langage, mais toute sa démonstration est détruite par Christiane Taubira ». Xavier Bertrand, enfin : « Valls ? C’est Sarkozy sans le son ».
Judas ne se contente plus d’un baiser, il a carrément ouvert une association « Free Hugs ».

L’INA a ressorti pendant la campagne les premières apparitions cathodiques de « Manolo ». 1982, Manuel Valls a 20 ans. Le maxillaire déjà viril, la voix déjà grave, l’œil déjà vif, il débite déjà, presque sans bafouiller, un discours sur la valeur-travail amené à connaître un avenir fécond :
« Le premier souci des jeunes, c’est le travail. À quoi sert l’école si elle débouche sur le chômage ? À cet égard l’héritage de la droite est énorme : plus de 2 millions de chômeurs, surtout des jeunes, et en particulier des filles. […] Il faut que les lycées de formation professionnelle servent à quelque chose, qu’ils préparent des CAP qui débouchent sur un emploi concret. Ce que nous voulons, nous, c’est vivre ; travailler. »
            Dans d’autres vidéos, il martèle un volontarisme obsessif (« Il faut faire bouger les choses ») qui n’est pas sans rappeler l’attitude d’un Copé ou d’un Sarkozy au même âge.
            Sarkozy sent très tôt la connivence qui peut exister entre eux deux. Alors que Valls était conseiller de Jospin, raconte L’Express en 2007, Sarkozy lui aurait proposé dans son style très caractéristique : « Un jour, je te proposerai de travailler avec moi… Et tu accepteras d’entrer au gouvernement. » Réponse du tac au tac : « Non, je n’accepterai pas. Je pense que ce pays a besoin d’une droite et d’une gauche. Chacun son camp. »
            Dont acte. En 2007, Valls balaie d’un revers la proposition de Sarkozy de l’intégrer comme ministre d’ouverture, laissant l'occupation de la Place Beauvau à Michèle Alliot-Marie.
           
            Mais si Valls est promis à un bel avenir médiatique, c’est qu’il est aussi un rêve de complotiste. Pour au moins trois raisons.
D’abord il n’est pas né Français. Né en 1962 à Barcelone dans une famille d’artistes par la suite expatriés à Paris, ce fils d’un catalan et d’une suisso-italienne devient même socialiste (1980) avant d’être naturalisé (1982) français.
C’est à cette époque que Valls commence à cultiver des amitiés très particulières. Avec le futur gourou de la communication Stéphane Fouks, aujourd’hui patron de la pieuvre Euro RSCG. Avec le futur influent « criminologue » Alain Bauer, qui sera l’employeur de son ex-femme dans les années 90 ; qui sera surtout de 2000 à 2003 grand maître du Grand Orient de France, première loge maçonnique du pays, et proche conseiller du président Sarkozy sur les questions de sécurité et de terrorisme.
Valls lui-même adhère un temps à la franc-maçonnerie avant de s’en éloigner. Pour les paranoïaques du complot, le mal est fait. Certaines phrases pour le moins maladroites lui sont de plus reprochées, comme par exemple : « Par ma femme, je suis lié de manière éternelle à la communauté juive et à Israël ». Valls a prononcé un long discours au dernier dîner du CRIF, ce 21 mai, s'exprimant longuement sur l’affaire Merah : « Quand un juif de France est attaqué, c’est la République elle-même qui est attaquée », a-t-il notamment déclaré.
            Enfin, Valls a de notoriété publique été invité en 2008 au groupe Bilderberg, sympathique raout itinérant qui réunit chaque année depuis 1952, sans la moindre médiatisation, une centaine de personnalités, essentiellement américaines et ouest-européennes, de la diplomatie, des affaires, de la politique et des médias.
Ce cumul incroyable de facteurs aggravants devait bien sûr exciter la curiosité de tous les théoriciens du complot.

« We are Change Paris » est une bande de NOMistes* postpubères un peu masochistes qui passent le plus clair de leur temps à écumer naïvement les séances de dédicaces de foires du livre pour se briser sur de la langue de bois embarrassée et des services d’ordre revêches, dans le seul but de nourrir leur site Internet de vidéos creuses.
Octobre 2011. Manuel Valls, qui dédicace son dernier ouvrage, fait l’objet d’une interview-surprise par les jeunes de "WAC". La réunion Bilderberg est vite sur la table. Valls répond de mauvaise grâce.
« D’abord je vous invite, vous qui vous intéressez à ce sujet, à ne pas trop fantasmer sur la réalité de ce pouvoir. J’ai été invité comme le sont des responsables politiques importants. J’ai trouvé ça intéressant, mais je n’ai pas eu le sentiment d’être au cœur d’un vaste complot. C’est un lieu comme il en existe beaucoup. »
Comme l’entretien s’éternise, les jeunes hacktivistes récitent peu à peu tout le chapelet de la gouvernance mondiale. Ils s’interrogent malhabilement sur ces lieux secrets où se réunissent des hommes politiques de droite, de gauche certes… mais des hommes qui sont essentiellement « mondialistes ». Le mot-clé fait jaillir une lueur dans le regard de Valls.
« Ah, mondialistes ! Oui, oui, et au cœur même du complot judéo-maçonnique. Et il y a même des gens qui expliquent que les attentats du 11 septembre n’ont pas eu lieu. (Il égrène sur ses doigts) Les mêmes qui critiquent le Bilderberg, qui mettent en cause Le Siècle, qui parlent du complot mondialiste, sont les mêmes, comme vous Messieurs, qui posent des questions sur le 11 septembre. Les questions que vous vous posez sont assez inquiétantes, surtout quand on est aussi jeunes que vous… Et ce sont les mêmes qui ensuite nient la Shoah ! L’entretien est terminé, je vous remercie. Au revoir. Bonne fin de journée. Et reprenez vos esprits. »

            Étonnante rhétorique qui ne fera qu’attiser les perplexités. Mais Manuel Valls, et c’est peut-être une qualité pour un ministre de l’intérieur, n’a pas peur de l’impopularité. La preuve, il a annoncé ce week-end vouloir s’attaquer au « fléau » de l’alcool chez les jeunes.
            Normal.



* NOMiste : partisan de l’idée qu’il existe un gouvernement global secret qui projette d’instaurer par la manipulation un « Nouvel Ordre Mondial », forme de supranationalisme antidémocratique et tout-puissant.



Article du Parisien (13 septembre 2000) sur la lettre de Manuel Valls à la MNEF



samedi 23 juin 2012

La Ayrault-dynamique



Le président normal avait nommé, par esprit de symétrie, un premier ministre normal. Il parlait allemand, était un bon père de famille, dansait le tango et avait des faux airs de concessionnaire automobile ou de promoteur immobilier.



      Faut-il que nos zélites soient vraiment à la ramasse en langues étrangères pour que, lorsque l'un des leurs s'avère un tantinet bilingue, on l’exhibe comme un calculateur prodige de foire aux monstres. Ce n’est pas un Jean-Pierre Elkabbach émerveillé par son court dialogue en langue-de-Goethe avec le premier ministre normal, ce 15 juin sur Europe 1, qui me contredira.
Certes, être germanophone de nos jours n’est plus le critère de promotion sociale qu’il pouvait encore être au début des années 40 ; n’empêche que Jean-Marc Ayrault s’est imposé, avant même sa nomination, comme un berlino-compatible de premier plan. Les rumeurs qui le pressentaient à Matignon ont fait les réjouissances de la presse germanique ; l’influent Süddeutsche Zeitung ne tarissait pas d’éloges sur le maire de Nantes le 15 mai dernier :

« Avec la même froide assurance, Jean-Marc Ayrault peut parler de pragmatisme économique, de vision sociale et d'ambition culturelle - une combinaison que l'on retrouve rarement en France.
A l'Assemblée nationale, dont il préside le groupe socialiste depuis quinze ans, il n'a pas la réputation d'un tribun au verbe tonitruant, fleuri ou cassant. Il préfère parler avec la retenue mesurée mais certaine des individus persuadés d'avoir le bon sens pour eux. C'est dans la nature de cet homme porté à la discrétion qui, même dans les instants de joie spontanée, arbore une moue légèrement grincheuse, mais dont le style sévère masque toutefois un idéalisme brûlant. »
            Bref, un parfait candidat au titre de citoyen d’honneur de l’outre-Rhin. Car son poste de professeur d’allemand n’est pas la seule chose qui le rattache au deutsche Geist cher à Nietzsche. Avec ses yeux bleus, sa mâchoire carrée et sa silhouette svelte, il cultive une personnalité secrète, solide et besogneuse, dans un monolithisme empreint de dignité suave. Nourri de christiano-marxisme raisonné, élève politique du très gauchiste Jean Poperen, il a donné, sur les bords de la Loire, l’image d’un gestionnaire réaliste, amateur de culture, d’urbanisme et de consensus. Les comparaisons avec Pierre Mauroy, premier Premier ministre de Mitterrand, ne manquent pas. Même côté « SPD », même ancrage local (Mauroy fut maire de Lille pendant 28 ans), même intelligence politique, même discrétion pondérée.
Ayrault n’a certes jamais occupé un ministère. Mais Ayrault est aussi l’homme qui n’a jamais perdu un scrutin. Il devient à 26 ans le plus jeune conseiller général de France, et à 27 le plus jeune maire d’une ville de plus de 30 000 habitants (Saint-Herblain, banlieue nantaise). Il est ensuite élu à 4 reprises maire de Nantes au 1er tour (1989, 1995, 2001, 2008) et 7 fois d’affilée (dont 4 fois au 1er tour) député de Loire-Atlantique (1986, 1988, 1993, 1997, 2002, 2007, 2012). Conséquence directe, il était arrivé 2ème à un classement Le Point-Le Monde des plus grands cumulards en octobre 2009, pour ses fonctions de député, de maire de la 6e ville de France et de président de son agglomération. Cela sans même compter sa présidence des députés PS depuis 1997 ; la route du ministère alors barrée par une affaire de favoritisme (depuis annulée), il avait été appuyé par Jospin à ce poste, auquel il fut réélu deux fois. Un poste qui lui permit entre autres de siéger aux côtés du premier secrétaire normal lors des séances plénières.
Des fonctions, il n’en occupe désormais plus que deux : Premier ministre… et conseiller municipal.

Essayez de vous enlever ça de la tête, maintenant.
            Ayrault a à première vue ce côté France pavillonnaire, ce côté père de famille de pub pour Kinder, qui n’en fera jamais un homme médiatique. On l’imagine très bien embrasser nonchalamment la pommette de sa femme au foyer après avoir rangé sa Clio dans le garage de son pavillon, lâcher son attaché-case en faux cuir et mettre les pieds sous la table en stuc du living devant le JT pour déglutir avec un petit sourire taciturne son gigot-flageolets du jeudi soir, en rêvassant au remboursement de ses prêts immobiliers.
Que dire donc au fond de cet homme sans aspérité apparente ? Que pressentir dans la façon dont il va mener la politique de notre gouvernement ? Les pistes pour le comprendre se situent sans doute dans ses 23 ans de refaçonnage de la ville de Nantes.
Ayrault avec sa cadette Elise, 1988
            Ayrault était déjà le maire de Nantes lorsque j’y suis né. La paisible et bourgeoise cité ligérienne, que l’on appelait « La Belle endormie » dans les années 60-80, s’est peu à peu « réveillée » sous l’effet d’une recette qu’on pourrait qualifier de delanoësque. Comme le maire de Paris, Ayrault a modernisé, moderné, post-moderné sa ville. En facilitant l’installation de gros groupes sur des friches industrielles. En pariant sur l’art moderne et le théâtre de rue pour redorer l’image culturelle de Nantes.
          Surtout, en forçant le passage de son projet mort-né de grand aéroport international sur la bourgade rurale de Notre-Dame-des-Landes, 30 km au nord de Nantes. La lubie de « l’Ayraultport », symbole de ses ambitions internationales, reste, aux dires de beaucoup de ses administrés, la seule tache dans son insubmersible popularité. Il fallait voir ces trois dernières années les manifestations monstres provoquées chez les obscurantistes du cru les plus allergiques à la marche du progrès triomphant. Que valent 2000 hectares de terres agricoles à proximité de réserves  naturelles et ornithologiques ? Certainement pas plus que les paysans privés de terre en grève de la faim, les manifestants matraqués, lacrymogénés, les écologistes naïfs arguant qu'il est absurde de remplacer par un projet de 500 millions d'euros un aéroport existant qui n'est même pas en voie de saturation.

Comme Delanoë, on peut mettre au crédit de Ayrault le développement d’un système de transport public « propre » (développement du tram, du bus, création de vélopartage). Au contraire de celui-là, celui-ci a mis une application particulière à relier au réseau de tramway les quartiers « sensibles ». Mais comme celui-là, celui-ci a contribué à embourgeoiser plus encore le centre-ville et à ghettoïser les lisières par de savantes politiques de tamis fiscal, de spéculation immobilière et d’urbanisation « verte ».

            Comme Delanoë, Ayrault a cru bon de parier sur l’agitation culturante pour redynamiser sa ville.
- En engageant des fonctionnaires-artistes comme par exemple la troupe « Royal de Luxe », qui entend « faire irruption dans l’espace public par le détournement d’objets et le recours au gigantisme », dans la mouvance de la « reconquête » de la rue et du quotidien par les arts du spectacle depuis les années 70. Royal de Luxe, compagnie « hors-commission » depuis 1999 (statut qui lui permet une attribution automatique de subventions), ponctionne à elle seule 18 % du budget municipal alloué à la culture (près de 300 000 euros par an), afin de confectionner des marionnettes géantes.
            - En occupant les hauts lieux du « patrimoine industriel » (comprendre usines désaffectées) par des lieux culturants. L’usine de biscuiterie LU, tour d’inspiration Art Nouveau, a par exemple été investie en 2000 par le centre culturel « Lieu Unique ». L’idée était de « créer un lieu où la vie côtoie spontanément l’art, dans ses formes les plus contemporaines, voire dérangeantes ». Le projet inclut également des espaces de services (bar, restaurant, librairie, crèche, hammam). Résidence d’artistes, atelier, salle d’exposition, l’ancien symbole des petits-beurres nantais est devenu le centre gravitationnel des bobos urbains du 44. Dans le même esprit, les hangars des anciens chantiers navals de l’Île de Nantes ont été repeuplés par un service d’animation mettant en scène des machines géantes, « à la croisée des mondes inventés de Jules Verne, de l’univers mécanique de Léonard de Vinci et de l’histoire industrielle de Nantes ». Le projet, financé à hauteur de 6 millions d’euros, a notamment donné vie au fameux « Grand Éléphant », qui peut promener une cinquantaine de passagers autour de son île du haut de ses 12 mètres.

La première fois, évidemment, ça peut surprendre.
            - En développant la vie festivalière. « Folle journée » depuis 1995 (musique classique), « Festival des trois continents » (cinémas asiatique, africain, sud-américain), « Utopiales » (science-fiction), etc. Le sociologue Bernard Vrignon s’est notamment opposé à cette politique de la « culture-paillettes » :  « J’exprime mon désaccord sur une politique municipale […] qui m’apparaît avoir favorisé surtout une culture des ‘’rendez-vous’’ qui profite plus à l’éphémère qu’à une action de fond », écrivait-il dans Ouest-France en 2002.
Un festivisme subventionné qui multiplie des initiatives isolées sorties de l'imagination toujours fertile des culturants (mur d'escalade en plein centre-ville, ensembles de percussions brésiliennes, fanfares à paillettes massacrant des standards pop, etc.). Le "Voyage à Nantes" ("La ville renversée par l'art"), événement culturel de l'été, propose "la plus grande crêperie du monde" ("Crêpetown"), "des croisières clubbing et gustatives sur la Loire", "des oeuvres du musée des beaux-arts hors les murs", "des oeuvres chez les commerçants", "un restaurant dans un zeppelin qui survolera la ville", "une oie géante au sommet d'une tour", "un manège de 150 mètres de haut", un terrain de sport orné d'une banane géante sur le toit de l'école d'architecture (le "Banaball"), bref, de la "poésie, de la tendresse, un appel à l'ailleurs". Les touristes et autochtones doivent savoir dès maintenant qu'ils pourront, sans sommation, croiser un "Spiderman supporter du FC Nantes en haut de la tour de Bretagne", "un Cowboy bondissant sur le Navibus" ou "Un petit train devenu fou", personnages "participant à créer un nouvel imaginaire de la ville."

            - Mais aussi en s’engageant dans des combats de haute teneur morale, à 250 ans ou à 8000 km de distance. Sensible à la question tibétaine, il avait reçu le Dalaï-Lama à la mairie de Nantes en août 2008 et avait pavoisé l’hôtel de ville du drapeau tibétain en opposition aux répressions du mois de mars. Refusant d’oublier que la prospérité de Nantes s’est bâtie sur le commerce triangulaire, il a aussi enclenché une véritable politique de mémoire négrière ; en 2010, des manifestations ont eu lieu pour qu’une dizaine de rues aux noms évoquant des négriers soient débaptisées, pour ne pas tomber dans « l’apologie de crime contre l’humanité ». En mars 2012, Ayrault effectue sa dernière action d’ampleur en tant que maire en inaugurant le « Mémorial de l’abolition de l’esclavage » dont il avait initié le projet ; étaient invités à la cérémonie Christiane Taubira, Lilian Thuram et un ancien président du Bénin.

            Bien que perçu à première vue comme un placide bourgeois vieille-France, Jean-Marc Ayrault est un vrai socialiste, au sens le plus modernant qui soit. Il en a en tout cas toutes les audaces rhétoriques. C’est lui qui est à l’origine de l’appellation « Nantes-Atlantique », qui a servi à rebaptiser Aéroport, écoles et club de football, et a contribué à faire oublier aux foules de nouveaux arrivants que Nantes est à près de 40 km de la mer...
            C’est lui aussi qui, lors du mini-remaniement de ce 21 juin, a glissé dans sa liste quelques délicieuses retouches langagières ; Michèle Delaunay, auparavant ministre déléguée « aux personnes âgées et à la dépendance », est devenue ministre déléguée « aux personnes âgées et à l’autonomie ». Elle figure notamment aux côtés d’Arnaud Montebourg, ministre du « Redressement productif » et de Mme George-Pau Langevin, « ministre déléguée à la réussite éducative ».
            « Nous vivons dans un siècle », disait Desproges au début de la présidence Mitterrand, « qui a résolu tous les vrais problèmes humains en appelant un chat un chien ».
            Normal.


L'événement culturant de l'été 2012 à Nantes : http://www.levoyageanantes.fr/fr/#