Le pays du président normal avait, grâce à
sa richesse accumulée, gagné le droit de participer aux raouts de la
gouvernance globale…
Il faudrait
être de très mauvaise foi pour nier que Hollande a fait « bonne impression »
lors de ses tout premiers déplacements d’envergure – le G8 à Camp David (18-19
mai), le sommet de l’OTAN à Chicago (20-21 mai), le sommet européen à Bruxelles
(23 mai).
Nous n’aurons
pas ce courage. D’autres l’ont eu à notre place, soulignant à nouveau l’apparence
godiche du président normal, arrivé encravaté dans les bois de Camp David parmi
ses nouveaux camarades alors que le dress-code
professait une hypocrite « casualness »
dans une ambiance de mise au vert pour jeunes cadres sympatoches. On prendra ça
pour le bizutage de rigueur – les Medvedev, Harper, Monti et autres Barroso
sont connus pour leur caractère volontiers espiègle.
Sur la
forme, c’est pourtant bien Hollande qui a marqué des points pendant ces
quelques jours, une dépêche de l’agence Associated
Press reprise partout n’hésitant pas à annoncer que le « nouveau
leader français accaparait l’attention ». La complicité immédiate entre
Obama et Hollande – lourdement mise en évidence par leur échange culturel sur
les qualités comparées du cheeseburger transatlantique – a surpris les observateurs, et pas seulement eux.
Cameron et Merkel ont été visiblement pris de cours par cette alliance-surprise
sur les points essentiels des débats.
Dès le 8 mai pourtant, le New York Times se félicitait paradoxalement du résultat de l’élection
française, avançant que les regrets du départ de « Sarko the American » seraient vite balayés par la proximité entre
Hollande et Obama sur les questions économiques.
Tant pis pour les
antiaméricanistes : Barack Obama a trouvé en Hollande un allié peut-être
plus précieux que son prédécesseur, qui devenait avec le temps de plus en plus
merkophile et austéromaniaque. Le culte de la rigueur a fait son temps aux
États-Unis, où des économistes de renom se sont récemment élevés pour réclamer le
soulagement par la relance de l’asphyxie économique. Les mantras pro-croissance
de Hollande plaisent au pays du New Deal.
Même s’il porte rarement des t-shirts
NYPD, Hollande parle un bien moins mauvais anglais que Sarkozy ; il est
également moins impulsif, moins imprévisible dans son rapport de personne à
personne. La confidence d’un conseiller du vice-président Joe Biden, témoin de
l’arrivée de Hollande à la Maison Blanche, est édifiante :
« L'impression a été surprenante et immédiate, devant ce nouveau
président visiblement ouvert et ferme à la fois. Il n'a pas laissé échapper une
seule minute. Nous nous attendions à une attitude plus timide étant
donné son pouvoir tout neuf et compte tenu de l'attitude de son prédécesseur
Sarkozy qui débarquait toujours ici avec armes et bagages, surexcité et
brouillant toutes les pistes. Dès lors qu'il a parlé sur l'Afghanistan,
nous avons su que la donne était changée et Obama a vite compris où était son
intérêt. »
La position
de Hollande sur l’Afghanistan, bien qu’anecdotique dans le sort de la guerre,
est effectivement de nature à servir le président-du-monde-libre ; alors que la
présence américaine dans les montagnes afghanes atteint des sommets d’impopularité
dans l’opinion publique, Hollande a dit tout haut… ce qu’Obama ne pouvait pas
dire seul. Dans la mentalité américaine, c’était une évidence tacite que la France
devait quitter la bataille avant les États-Unis afin que ces derniers puissent battre
dignement en retraite.
Il ne faut pas oublier que le prix
Nobel de la paix va avoir les mains liées tout au long de l’année 2012. Sa
réélection en novembre face à Romney est loin d’être jouée d’avance.
Alors qu’il avait réveillé
beaucoup de sceptiques en pivotant sa politique étrangère vers l’Asie, Obama a
tout intérêt à s’impliquer dans la crise européenne dans les mois qui viennent.
D’abord, l’Europe est un continent où il reste populaire. Ensuite, comme le
rappelle à bon escient un édito du New
York Times, l’Europe « est le
groupe de nations qui partagent le plus étroitement les valeurs et les intérêts
américains »… même lorsque les investissements y sont menacés. Le sens
de la famille, en quelque sorte ! Enfin, les inquiétudes sur la situation
grecque et les contagions éventuelles de la crise de l’euro sont bien plus
grandes que les leaders du monde ne veulent le laisser deviner.
Obama a besoin, parmi ses alliés,
d’un consensueur-en-chef comme Hollande, qui a déjà démontré qu’il était
capable de prodiges langagiers tels que la phrase qui avait résumé ses
ambitions économiques pendant la campagne présidentielle : « Il faut donner du sens à la rigueur ».
On pressent bien en effet toute
la puissance tautologique de ce genre de positionnements : personne ne se
déclarera contre la croissance ;
personne ne s’opposera au principe du sérieux budgétaire. Personne n’aime la
dette, personne n’aime la crise.
Les médias français de gauche,
traditionnellement sceptiques sur l’intérêt des sommets internationaux, ont du
mal à cacher leur enthousiasme – ou leur soulagement – sur les premiers pas de
leur poulain. Le dangereux subversif Bruno Roger-Petit ne montrait aucun
scrupule apparent à écrire sur le site du Nouvel Obs’, ce 21 mai :
« La présidence normale est une arme politique de destruction
massive. En moins d’une semaine, elle a montré l’étendue de sa puissance, qui
est sans pareille. Politiquement, que reste-t-il de la présidence Sarkozy après
une semaine de présidence Hollande ? La réponse est simple, claire, évidente
et nette : il ne reste rien. »
… C’est qui, d’ailleurs, Sarkozy ?
Miracles dialectiques de l’alternance
: ceux qui étaient les premiers à descendre en flammes la politique atlantique
et américanophile de Sarkozy s’empressent de faire risette devant les signes de
bonne entente obamo-hollandaise.
Normal.
Dans le sens horaire : Hollande, Obama, Cameron, Medvedev (caché), Merkel, Von Rompuy, Barroso, Noda, Monti, Harper |
66 % des Américains sont désormais opposés à la poursuite de la
présence américaine en Afghanistan ; 27 % pensent qu’il faut poursuivre l’effort,
selon un sondage AP-GfK (mai 2012). La guerre a déjà coûté la vie à plus de
3000 combattants et membres de l’OTAN (dont près de 1840 Américains).
3 % : c’est le poids des forces françaises – 3400 militaires –
dans la coalition internationale présente en Afghanistan. Les Pays-Bas et le
Canada ont déjà retiré leurs contingents respectifs, la Pologne se prépare à le
faire.