Celui qui s’est toujours défini sans honte comme un « bébé Chirac » est aujourd’hui devenu un « bébé Sarko » par la force des choses. Jean-François Copé sort enfin de sa chrysalide, bardé de réseaux patiemment tissés, le verbe taillé en biseau. Une longue carrière de candidat s’ouvre à lui…
Deux visions du monde. Deux cosmogonies, même. Fillon contre Copé, c’est énorme. C’est la Guerre froide en mieux. C’est Rome contre Carthage, c’est Athènes contre Sparte, c’est Coca contre Pepsi.
Il ne devait pas en être ainsi. Au départ, ça ressemblait de loin à un choix plus riche que celui entre deux épaisseurs de sourcils. Fillon, élève de Séguin, devait représenter la ligne gaulliste-sociale, teintée de souverainisme. Copé, RPR pur jus, devait en représenter la ligne libérale, registre volontariste à dents de sabre. Post-bonapartisme contre post-orléanisme en somme. Alors pourquoi cet ennui profond ? Pourquoi cette impression tenace d’assister à un affrontement de néants désincarnés par deux ectoplasmes ? Pourquoi ce sentiment que tout le monde ne fait que guetter un signe de Sarkoléon à l’île d’Elbe ?
Il ne devait pas en être ainsi. Au départ, ça ressemblait de loin à un choix plus riche que celui entre deux épaisseurs de sourcils. Fillon, élève de Séguin, devait représenter la ligne gaulliste-sociale, teintée de souverainisme. Copé, RPR pur jus, devait en représenter la ligne libérale, registre volontariste à dents de sabre. Post-bonapartisme contre post-orléanisme en somme. Alors pourquoi cet ennui profond ? Pourquoi cette impression tenace d’assister à un affrontement de néants désincarnés par deux ectoplasmes ? Pourquoi ce sentiment que tout le monde ne fait que guetter un signe de Sarkoléon à l’île d’Elbe ?
Pour être
honnête, il y en a que l’issue du scrutin intéresse. Au PS, on espère Copé plus encore que ses partisans : la victoire de la ligne la
plus radicale précipiterait la scission de l’opposition. Ce serait sous-estimer
l’élasticité légendaire de l’UMP. Ce serait sous-estimer surtout la cohérence
des différents mouvements de droite, qui semblent s’agglutiner entre eux plus
par inertie et habitude que par choix. Soutenir en même temps gaullisme et fédéralisme européen, se dire
humaniste et sécuritaire, ou
protectionniste et libéral ne semble
poser aucune espèce de cas de
conscience à la Maison Bleue. Et le soutien somnambule à Copé d’un Guaino sous Prozac, ou les
lauriers tressés d’un Villepin en pleine phase de délire maniaque (« qualités exceptionnelles »… « perle rare »…), n’ont en soi aucun sens intellectuel. Pas plus que
l’alignement derrière Fillon de l’ancien « Occident » à sourire de
scie circulaire, Gérard Longuet, ou de l’hallucinatoire cardinal Guéant.
La
différence de projet politique, on l’aura compris, est minime. Tous les
sonneurs de cloches de droite et de gauche s’entendent si bien autour du
carillon du choc de compétitivité –
expression qui devrait à elle seule donner de violentes poussées
d’anarcho-syndicalisme à n’importe quel observateur sensé – que l’intérêt s'est déplacé ailleurs.
Non, le vrai
miracle avec Jean-François Copé, c’est qu’on le voit venir depuis si longtemps
et qu’on sait depuis si longtemps qu’il sera un ersatz de sarkozysme orthodoxe,
qu’on se demande comment il parvient encore à produire de l’effet. Certes, il ne provoque que ceux
qui veulent absolument être provoqués – ils sont nombreux. Ses bonnes histoires
de ramadan appartiennent au registre du divertissement pur : du pain au chocolat et des jeux. Mais
l’ironie géniale de la situation est qu’il tire aujourd’hui parti de la
sarkostalgie naissante autour d’un homme avec qui ses relations ont si
longtemps été exécrables.
En 1995, déjà en campagne. |
Il ne fait pas
bon trop se ressembler en politique. Lorsque Sarkozy rencontre Copé au début
des années 1990, il se méfie instantanément de ce faux-jumeau encombrant, de dix ans
son cadet. Leurs similitudes multiples – origines d’Europe de l’Est, engagement
précoce, ambitions assumées, rapport à l’argent – sont loin de les rapprocher.
En 1995, le premier soutient Balladur et le second Chirac. Une apparition télévisée précoce (31 ans) le montre déjà en pleine hyperactivité de campagne, répétant à qui veut l'entendre qu'il « s'est engagé pour faire bouger les choses » et que pour que « ça bouge », «il faut faire bouger les choses ».
Tardant trop à rallier Sarkozy en 2007, il ne décroche pas de strapontin
gouvernemental. Il est savoureux de lire aujourd’hui sous sa plume des phrases
comme : « Après avoir pris
clairement position en faveur de sa candidature, et avoir mené campagne de
toutes mes forces en sa faveur, j’ai été heureux de le voir accéder à l’Élysée. »
Mai 2007 :
Sarkozy offre en compensation à Copé un boulevard pour le poste de président de groupe des
députés UMP, en échange d’un soutien sans failles en 2012. Celui-ci va en faire le navire amiral de sa reconquête. Surfant sur le
mécontentement des députés UMP provoqué par « l’ouverture » et le
Grenelle de l’Environnement, il n’hésite pas à affronter verbalement sa propre
majorité. Sarkozy subit une cohabitation là où il ne l’attendait pas. Pendant
ce temps, Copé applique scolairement la méthode Chirac : conquérir le
parti de l’intérieur. Son club « Génération France » (« 0 % petites phrases, 100 % débat
d’idées »), qui compte plus de 100 antennes locales et une version
jeunes lancée début 2012, est son jouet. Obsédé par ses réseaux, il parvient par son influence
grandissante à investir le parti. Il devient secrétaire général en 2010. Prêt à
lancer enfin sa carrière politique, à 44 ans.
En 1995, la
première biographie de Sarkozy s’intitulait « L’ascension d’un jeune homme pressé ». Celle de Copé, sortie en 2010, a elle pour titre… « L’homme pressé ».
On y trouve le
portrait d’un enfant adoré par sa mère et pressuré sous les exigences de son
père. Son père : Roland Copé, qui endosse la double casquette peu commune de proctologue à
succès et acteur (il joue Pétain dans La
Rafle – fils de juif roumain, il a lui-même échappé à une rafle en 1943). Le
7 mai 2002, Copé fils l’appelle pour lui annoncer qu’il vient de devenir
ministre, à tout juste 38 ans. La réaction ne se fait pas attendre. « Tu as quoi ? Les Relations avec le
Parlement ? C’est nul… »
On
n’ose croire à un complexe d’Œdipe : pour la figure de proue du
décomplexage tous azimuts, ça ferait tache. Pourtant la carrière politique de
Copé s’est jusqu’à aujourd’hui définie par une inlassable quête du père. « Il y a du Chirac en lui »,
plaide Jean-Pierre Raffarin. « Il y
a du Sarkozy en Copé », renchérit Luc Chatel. Il paraît même qu’à une
époque il était rocardien. Au point d’être devenu une propagande ambulante pour
l’adoption homosexuelle : il prouve à lui seul qu’on peut avoir autant de
pères et pourtant être parfaitement équilibré – du moins, il a l’air de le
penser.
On en vient parfois à penser que
Copé tente avant tout de se décomplexer lui-même. Beaucoup moins à l’aise que
Sarkozy dans l’ouverture des vannes « people » sur sa vie privée, Copé est d’un
naturel réservé voire pudique.
Sans la renier, il semble qu’il
ait toujours eu des difficultés à accepter sa judéité. Il passe encore plus
volontiers sous silence ses origines bourgeoises et parisiennes. Il lui arrive
aussi de brocarder sa formation scolaire d’élite, notamment dans son livre
« Ce que je n’ai pas appris à l’ENA »
(2000). Pour casser son image de jeune loup insensible, il joue du piano jazz en public
dès qu’il en a l’occasion. Surtout, il n’hésite jamais à rappeler qu’il est
« maire de Meaux depuis 17 ans »
(en fait, 12 des 17 dernières années).
Copé
est particulièrement fier d’avoir débarrassé les quartiers populaires meldois
de leurs barres d’immeubles. En 2004, il organise un Copé Tour en bus pour les journalistes où il présente tel un
conférencier toutes ses réalisations dans la ville : rénovation urbaine
avec destruction des grandes barres, sécurité, redynamisation économique via
une zone franche. Il présente la cité de 50 000 habitants comme une France
en miniature. Message subliminal : ce que j’ai fait pour Meaux, je peux le
faire pour la France.
Il
y a au moins deux autres choses qui ne le complexent pas. D’abord l’argent, du
moins en privé : son amitié avec le richissime et véreux Takieddine, mais
aussi sa phrase sur « les
minables qui se contentent de 5000 € » sortie début 2012, participent
d’ailleurs à son impopularité.
Tu veux être mon ami ? |
Ensuite,
son appartenance politique. On aime à répéter qu’adolescent, les murs de sa
chambres étaient ornés de posters de De Gaulle et Pompidou. S’il récuse fermement le
terme de « droitisation », « ce-mot-inventé-par-la-gauche-pour-nous-interdire-de-parler-des-souffrances-des-Français »,
c’est qu’il a conscience d’être soupçonné de sympathies pour les idées
lepénistes. En réalité, ceux qui le croient susceptible de s’allier avec le FN
connaissent mal l’animal. Ce n’est pas, comme le suggérait maladroitement
Fillon, qu’une question « d’origines ».
Copé ne manque jamais de rappeler qu’en 1995, il devient le benjamin de
l’Assemblée nationale (à 31 ans, après la nomination de Guy Drut au
gouvernement). Il rappelle en général immédiatement après qu’il est en 1997 le
« plus jeune député battu » de France… à cause d’une triangulaire
avec le Front National.
Copé
n’est pas programmé pour accepter la défaite. La digestion est douloureuse. La
période 1997-2002 est sa traversée du désert à lui. Il devient professeur
d’économie à Paris VIII. Craint de ne jamais pouvoir revenir en politique. S’il
idéalise la « force intérieure » qu’il a tirée de cette période, il
garde une rancune tenace pour la mafia Le Pen.
Décomplexer
la droite, décomplexer la France, on vous dit. Décomplexer mais aussi décomplexifier. Démammouthiser
les appareils. Écrémer les lignes idéologiques. Simplifier le langage aussi –
surtout. « J’assume, car les
Français ne supportent plus que l’on s’exprime avec des phrases ampoulées, moi
c’est sujet-verbe-complément ! » claironne-t-il chez Jean-Jacques
Bourdin ce 5 novembre. Là encore, comment ne pas penser à Sarkozy et à son
« refus du style amphigourique »…
Sauf que Copé est un science-piste et un énarque, et que cinq ans de
porte-parolat au gouvernement laissent des séquelles irréparables sur l’expression
et un arrière-goût de tronc d’arbre dans la bouche. Faire régresser son niveau
de langue est un combat de tous les jours.
Heureusement avec les « éléments de langage », on peut
aujourd’hui faire un discours politique avec vingt mots de vocabulaire tout en
étant considéré comme un génie de la communication. Les discours de JFC
atteignent aujourd’hui une pureté virtuose dans cette itération frénétique de
mantras creux. Droite décomplexée. France décomplexée. Nicolas Sarkozy. France
forte. Droite forte. Droite généreuse. Gauche de l’assistanat. Gauche
bien-pensante. Saint-Germain-des-Prés. Gauche idéologique. Gauche sectaire.
Nicolas Sarkozy. Gouvernement d’amateurs. La gauche qui met la France à genoux.
Citoyenneté bradée. Inquiet pour la France. Les souffrances des Français. La
réalité du terrain. Lâcheté politique. Courage politique. Opposition tonique.
Résistance à la pensée unique. Pas de langue de bois. Richesse du débat
d’idées. Nicolas Sarkozy. On ne peut même pas dire que ses discours sont des coques
de noix ; dans les coques de noix, il y au moins quelque chose qui
ressemble à un cerveau.
Pour dire bref, on retrouve
chez lui le même travers chez que Sarkozy : croire que la volonté fait
tout et peut tout faire, dans n’importe quel cadre. C’est exactement la même bouillabaisse
d’opportunisme, de pensée magique, de foi superstitieuse dans la volonté
individuelle. Sauf que Copé est en retard : à la même étape de son
parcours politique, c’est-à-dire au moment de la conquête et de la dévoration
du parti, Sarkozy était incomparablement plus populaire. Il portait encore la
puissance d’une surprise. Copé est né trop tard, dans une France trop
sarkoïsée. « De par mes parents […]
je suis moi aussi, comme Nicolas Sarkozy l’a si bien exprimé le 14 janvier
2007, un ‘’petit Français de sang mêlé’’ », s’autobiographe-t-il sur
son site. Rien de pire que du storytelling réchauffé. Son ambition sans bornes
même paraît anachronique, alors que le pouvoir politique n’a jamais été si peu
alléchant.
Il paraît
qu’aujourd’hui Sarkozy a du respect et de l’admiration pour son dauphin. C’est
même Rachida Dati qui l’a révélé. Mais que la seule personne pour qui Sarkozy
éprouve admiration et respect soit son reflet dans le miroir, ce n’est plus de
nature à étonner personne.
Normal.
Team COPÉ
Ticket : Luc CHATEL, Michèle TABAROT
Une centaine de parlementaires :
Députés : Patrick BALKANY, Étienne
BLANC, Luc CHATEL, Henri GUAINO, Christian JACOB, Roger KAROUTCHI, Lionnel
LUCA, Thierry MARIANI, Hervé NOVELLI …
Sénateurs : Serge DASSAULT, Jean-Claude GAUDIN, Jean-Pierre RAFFARIN…
Autres personnalités : Charles BEIGBEDER, Christine BOUTIN, Rachida DATI, Brice HORTEFEUX, Nadine MORANO, Guillaume PELTIER, Jean SARKOZY,
Nicolas SARKOZY (selon la rumeur)…
Team FILLON
Ticket : Laurent WAUQUIEZ, Valérie PÉCRESSE
Plus de 150 parlementaires :
Députés : Bernard ACCOYER,
François BAROIN, Xavier BERTRAND, Éric CIOTTI, Bernard DEBRÉ, Patrick
DEVEDJIAN, Christian ESTROSI, Jean LEONETTI, Éric WOERTH…
Sénateurs : Chantal JOUANNO,
Gérard LONGUET…
Autres personnalités : Roselyne BACHELOT, Édouard BALLADUR, Éric BESSON, Claude GUÉANT, Jean TIBERI…
6 courants en lice :
« France moderne et humaniste » - Libéralisme, centrisme, fédéralisme européen (Chatel, Léonetti, Longuet, Raffarin...)
« La boîte à idées » - Refondation du
fonctionnement partisan (Apparu, Balladur, Bertrand, Juppé, Le Maire...)
« La Droite populaire » - Droite
« décomplexée », sécuritaire, anti-immigration (Luca, Mariani...)
« La Droite forte » - Héritage sarkozyste : identité, travail, mérite, anti-assistanat (Accoyer, Didier, Hortefeux, Peltier...)
« La Droite sociale » - Gaullisme social, centrisme, défense des classes
moyennes, lutte contre l’assistanat (B.Debré, Wauquiez)
« Le gaullisme, une voie d’avenir
pour la France » - Europe
des nations, défense de la Ve République, souverainisme (Alliot-Marie, Guaino, Karoutchi, Ollier)
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