Au pays du
président normal, on se demande si on ne vient pas d’assister à la meilleure
blague de l’histoire de la Ve République.
Dire que l’élection de François Hollande à la tête de notre pays est une plaisanterie n’est même pas une invective de mépris ou d’aigreur. C’est le constat placide et imparable que font tous les gens sensés de ce pays.
L’impression
tenace que nous venons tous d’être témoins d’une mystification, d’une hallucination
collective, d’un canular du niveau de l’invasion martienne narrée par Orson
Welles en 1938, joue un rôle essentiel dans l’interprétation que chacun fait de
l’« événement ». Il y a ceux, innombrables, qui rajoutent leur pierre
à l’édifice-fantôme patiemment échafaudé pendant toutes ces semaines de vide ;
ceux qui se gargarisent, dans leur "Numéro historique", de scènes
de liesse, de ferveur mitterrandienne, de vent de l'Histoire.
Il y a même ceux
qui tentent de storyteller François Hollande :
le jamais décevant Libé sortait dès les résultats un hors-série de 72
pages sur le parcours et le triomphe de Hollande, sobrement intitulé
« L’histoire d’une victoire ».
Sarkozy se prêtait magnifiquement à ces stratégies de mise en récit : on
se récitait volontiers au coin du feu les prouesses de ce fils d’immigré
hongrois qui avait conquis le plus grand parti de France à la force du poignet,
avec à la clé des épisodes aussi romanesques que la conquête autoritaire de la
mairie de Neuilly, la prise d’otages de HB, l’irrésistible ascension à Beauvau,
la féroce rivalité avec Villepin, l’affaire Clearstream, le drame Cécilia,
l’idylle Carla, les trahisons, les perfidies, les coups de force, les coups
bas, les coups durs, etc. Une belle histoire estampillée au fer rouge dans les
esprits par des films aussi impertinents que La Conquête de Xavier Durringer.
Et
il y a ceux qui ont pris le parti d’en rire. Pourquoi ? Parce que Hollande
est un président à contre-pied et que l'art du contre-pied est un élément comique puissant.
À contre-pied
du système médiatique tout d’abord. Alors même que la personnalisation de la
politique va croissant, le potentiel d'idéalisation du pouvoir va décroissant
depuis trente ans.
Mitterrand
était un président fascinant et mystérieux. Chirac était un président
mystérieux mais peu fascinant. Sarkozy fut un président fascinant mais sans
mystères. Hollande, a priori, ou
plutôt à l’évidence, n’est ni
mystérieux ni fascinant. Il suscite au mieux l’admiration inerte qu’on éprouve
devant un monsieur qui a des diplômes.
Hollande n’ira
pas « chercher avec les dents » ou « nettoyer au Kärcher » quoi
que ce soit. Il n’épousera pas de top model. Il ne poussera pas les autres
grands de ce monde pour être à son avantage sur les photos de famille.
Hollande est
un homme profondément amédiatique. Il
n’y aura pas de remake de La Conquête
pour Hollande ; le seul réalisateur qui aurait pu en faire quelque chose,
Max Pécas, a disparu sous Raffarin.
À
contre-pied, car le pied de nez fait à la droite est de toute beauté. Il y a
plus de satisfaction à avoir battu Sarkozy de cette façon qu’il n’y en aurait eu
avec un Strauss-Kahn auréolé de ses hauts faits de gouvernance globale ;
s’y rajoute en effet ce léger nappage de joie mauvaise de l’avoir défait avec un homme
bien loin de son parcours, de son énergie, de son aura. Il y a aussi quelque
chose de quasi-saugrenu à avoir triomphé à bord du Sous-marin rose, de la
Machine-à-Perdre, d’un parti donné en état de mort clinique à la fin d’une decennis horribilis où il avait
enchaîné déception sur humiliation (mai 2002, juin 2005, mai 2007, novembre
2008, mars 2009 pour rappeler les meilleurs épisodes).
Tout
à fait parallèlement, on peut s’émerveiller de voir les cadors de la gauche
modernante accoucher de discours rayonnants sur la renaissance du socialisme. En réalité, on
risque moins de voir défiler les chars soviétiques que les think-tanks
germanopratins. Les pontifes de Terra Nova, ceux-là même qui conseillent au
PS de se détacher de sa base populaire pour draguer immigrés, jeunes-filles et
minorités souffre-douleurs, convoitent déjà les postes de pouvoir si bien
mérités qui pourraient les faire passer du statut d’éminences grises à celui d’éminences
jaune fluo.
Rire,
parce que le combat du président normal contre l’hydre financière, promis lors
du discours du Bourget*, promet d’être dantesque. On a hâte de voir ce dont François
Hollande, protégé d’Attali et de Delors, « ouiste » au Traité de
constitution européenne de 2005, meilleur ami de Jean-Pierre Jouyet – président
de l’Autorité des marchés financiers – sera capable dans l'arène.
Rire,
enfin, parce que c’est tout de même François Hollande que nous avons élu.
En 1981 déjà, Hollande faisait
rire. Jacques Chirac le premier, voyant se parachuter face à lui, aux élections
législatives corréziennes, un premier de classe à lunettes de 25 ans et demi
qui lui rendait seize centimètres – et faillit le mettre en ballotage.
Après le président bling-bling, le président splash-splash. |
Pendant trente
ans, Hollande a fait rire – y compris, on n’ose dire surtout, dans sa famille politique. Son impressionnante collection de
surnoms – Flanby, Fraise-des-bois, Guimauve, Chamallow, Grollande, Mollande,
Babar, Culbuto, Porcinet, Frère Benêt, Patapouf, Le Grand méchant Mou, le
Capitaine de pédalo, le Conque errant – est passée à la trappe. Mais rien à
faire, pour les spectateurs des Guignols
de l’info, le président Hollande sera toujours cet eunuque pataud au rire
gras à qui on promettait de « garder
les gosses » pendant l’élection de 2007.
Aujourd’hui,
les sarcasmes se sont tus. Ou plutôt, les rieurs ont changé de camp. Il faut
dire que cette soudaine déférence qui enveloppe l’entourage de Hollande a en
soi un fort potentiel comique. Que de marrades en perspective lorsqu'on entend déjà Arnaud
Montebourg, suspendu par Royal en 2007 pour ses galéjades gratuites sur son
compagnon, affirmer avec le meilleur sérieux du monde que Hollande sera
« le nouveau Roosevelt » de l’Union européenne.
Reconnaissons
des mérites à Hollande. Être un homme sans histoires n’empêche pas de saisir
certaines tendances de l’Histoire. Il a su saisir sa chance, qualité qui suffit,
au fond, à en faire un sarkozyste en puissance. Il a compris avec acuité l’équilibre
entre espérance et apaisement qu’il devait créer autour de sa campagne : réaliser
d’une part, à l’image de Mariano Rajoy en Espagne, une campagne « zéro
risque » basée sur la constance des idées ; exprimer ponctuellement,
d’autre part, quelques idées fortes sur le « rêve français », la
finance folle et la passion républicaine de l’égalité. Il avait fort bien vu,
et depuis plus longtemps qu’on ne le pense, le parallèle avec l’élection de 1981
– et l’intérêt qu’il avait à se mitterrandiser.
On
ne peut pas dire que Hollande ait le profil du prophète. Et pourtant, il avait
prédit comment perdrait Sarkozy. C’était il y a quatre ans, pendant
l’université d’été du PS de 2008, et l’anaphore était déjà sa figure de style
favorite :
« Vous verrez, Sarko, en dépit des apparences,
c'est Giscard. Comme lui, il entame par une forme d'ouverture. Comme lui, il va
être pris à revers par la crise économique. Comme lui, il va affronter une
impopularité grandissante. Comme lui, il va se perdre dans l'admiration de sa
propre personne. Comme lui, il humilie les siens. Comme lui, il va perdre
toutes les élections locales. Comme lui, il va chercher son salut en essayant
de retrouver ses bases électorales de la droite dure. Comme lui, il va
s'isoler. Comme lui, il sera donc battu. »
Normal.
* « Dans cette
bataille qui s’engage, je vais vous dire qui est mon adversaire, mon véritable
adversaire. Il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera
jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. Cet
adversaire, c’est le monde de la finance. » (Le Bourget, 22 janvier 2012)
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