mardi 15 mai 2012

La défaite en chantant




Au pays du président normal, on avait toujours eu un goût romantique pour les belles défaites.


De là à comparer le revers de Sarkozy aux échecs héroïques de Diên-Biên-Phu ou de Séville 82, le pas est certes un peu large. Mais tandis que le discours de Tulle, avec son lyrisme pataud de kermesse d’école primaire, tiédissait le peu d’ardeur suscité par la première victoire socialiste depuis trois décennies, Sarkozy, dans des « adieux » étonnamment fair-play, parvenait à susciter une espèce d’attendrissement nostalgique même chez ceux qui n’avaient aucun bon souvenir de lui. On a retenu aussi, bien sûr, le geste protocolaire du 8 mai qui associait ex-président anormal et futur président normal, revisitant au passage de façon inspirée le concept des « Deux corps du Roi ».
            À se demander qui des deux avait réellement remporté l’élection présidentielle.

            Sarkozy est un homme profondément paradoxal. Il a vécu ces cinq dernières années dans un présentisme continuel, tête dans le guidon, dans une présidence de colmatage, sans vision à long terme de la place de la France dans le XXIe siècle. Et à l’inverse de cette logique de politique au jour le jour, il a choisi de toujours dédaigner les journalistes, les cotes de popularité et les manifestations d’hostilité pour s’en remettre à l’Histoire. « Dans un an, les gens m’adoreront ; en France, on aime les présidents quand ils sont partis », confiait-il à Balladur le 11 mai. Il convenait auparavant de réussir sa sortie, après avoir, au début de son quinquennat, chuté de 20 à 30 points de popularité en l’espace de six mois. Il convenait donc au préalable de ne pas essuyer l’humiliation que tous se délectaient à lui promettre depuis un an.
            Ne nous y trompons pas. Pour un animal politique habitué à vaincre tel que Sarkozy, il y a quelque chose de mortifiant à perdre face à un demi-sel tel que Hollande ; il y a 18 mois encore, il n’envisageait même pas de l’affronter. Il y a un an encore, il estimait la place de Hollande due « à une conjoncture astrale fantastique ». Il y a un mois encore, il répétait à qui voulait l’entendre qu’il aplatirait son adversaire en plateau-télé ; on a vu le résultat. Mais il est incontestable qu’il était préparé à l’échec. Le 6 mai, lorsqu’il s’est enfermé avec Guaino en fin d’après-midi, il lui a fait écrire uniquement le discours de défaite.
Sarkozy n’a pas perdu par 60-40, ni par 55-45, ni même par l’écart qu’il avait infligé à Ségolène Royal ; l’étrange soulagement qui transpirait de son discours de la Mutualité ne pouvait que trahir que le score final, 51,6 % - 48,4 %, était loin de lui être défavorable. Au point que Jean-Pierre Raffarin osait avancer sur Twitter, dès le soufflé retombé : « Finalement, l’écart montre que cette élection était gagnable ».

Les professionnels de la stratégie rétroactive ont massivement glosé sur les tactiques employées par Sarkozy tout au long de la campagne. On a prétendu, sans aucun fondement d’ailleurs, qu’il aurait pu mieux faire en se représidentialisant. On a critiqué sa « droitisation » ; sa « chasse sur les terres du FN ». Dans une densité de points Godwin jamais vue dans le débat républicain, on a ressorti tous les bruits de bottes et toutes les histoires d’heures sombres de nos livres d’épouvante.
Mais qu’entend-t-on au juste par « droitisation » ? Pas grand-chose, sauf à considérer qu’un discours de régulation de l’immigration suffit pour être catalogué à l’extrême-droite. Il serait intéressant de savoir qui profite réellement de la confusion partout entretenue entre futurs immigrants, immigrés clandestins, immigrés légaux, immigrés naturalisés, descendants d’immigrés de première, deuxième, vingtième génération.
Situer le FN à la droite de l’UMP relève d’une vision très spatialisée – et finalement très statique – du paysage politique français. Elle laisse entendre – et Marine Le Pen entretient cette chimère à dessein – qu’une alliance est possible entre les deux partis, à l’image des ententes socialo-communistes. C’est confondre les électorats et les partis ; si l’électorat frontiste a, par conservatisme, trouvé Sarkozy moins repoussant que Hollande, les partis seraient en revanche tous deux gravement éparpillés en cas de coalition. C’est confondre les actes et les discours ; Sarkozy a martelé un discours frontiériste en citant du Debray prédigéré, mais a mené pendant cinq ans une politique atlantico-libérale aux antipodes du souverainisme. C’est ne pas voir, enfin, que par-dessus l’antique clivage droite-gauche s’est superposée une autre ligne de fracture entre mondialisme / libéralisme et patriotisme / républicanisme qui crée des ponts inattendus, certes, mais sûrement pas entre Sarkozy et le clan Le Pen.

Et c’est au fond se méprendre sur ce qu’était le sarkozysme ; à savoir une vaste ratatouille idéologique.
Sarkozy lui-même n’était qu’une force en mouvement, qui piochait au gré des situations des quignons de pensée politique chez des conseillers et des proches avec qui il ne partageait que des facettes intellectuelles, pour ne pas dire des façades. Trop de cuisiniers gâtent la sauce. Guaino, Buisson, Pébereau, Guéant équilibraient le sarkozysme chacun à leur façon, mais en un patchwork totalement vide de contenu. Quand le 15 avril à la Concorde le « candidat du peuple » citait quasi-simultanément Malaparte, puis Bonaparte, De Gaulle, puis Jean Monnet, on hésitait à trancher entre le simple plaisir du name-dropping et la vraie confusion intellectuelle.
Voilà ce qu'était le sarkozysme. Un agglomérat inconsistant de toutes les formes de droites traditionnelles, abâtardies, dévoyées dans un shaker idéologique fusionnant pêle-mêle néo-gaullisme, néo-maurassisme, néo-libéralisme et néo-conservatisme. Sarkozy était Napoléon pour les uns, Badinguet pour les autres.

C’est bien pour cela que Sarkozy ne pouvait pas avoir de scrupule à pratiquer une politique d’ « ouverture » au début de son mandat. Un homme uniquement animé par le pragmatisme ne peut avoir de trace de sectarisme.
Ce qu’était le sarkozysme ? Il faudrait répondre d’abord en allemand et en grec : realpolitik, kairos (capacité à saisir le moment opportun), et enfin volontarisme – cette foi inébranlable en l’énergie individuelle qui englobait tout son discours creux sur la valeur-travail.
Sarkozy est bien plus un mystique qu’un idéaliste. Il a cru que sa seule force psychologique suffirait à redonner les rênes de la France au pouvoir politique, sans s’en donner les moyens concrets. Il a attaqué en toute fin de course les traités européens et les rouages absurdes de la BCE, après avoir ratifié toutes les délégations de souveraineté, après s’être mis à l’idolâtrie merkophile – ce fameux modèle allemand qui a disparu de sa bouche après le mois de janvier, devant la stagnation des courbes de sondages.
            Le sarkozysme n’a jamais été une doctrine ; il a à peine été une politique. Au mieux, une force d’adaptation. Paradoxalement, c’est peut-être cela qui a sauvé son bilan. La moindre tentation de cohérence intellectuelle aurait levé le voile de façon aveuglante sur le prévisible échec de son agitation, et aurait fait imploser son parti ; l’UMP, conglomérat improbable de forces de pensée ayant l’étiquette de droite comme seul bien commun, ne pouvait survivre et être forte que sous la coupe d’un brillant caméléon. C’est pour cette même raison que le prochain leader de la droite parlementaire, quel que soit son nom, devra être un clone politique de Sarkozy ; il devra allier cette capacité extraordinaire au rassemblement des opposés, au double discours, à l’enfumage hyperactif. On parle d’un certain Jean-François Copé sur les rangs.
Normal.




Les 3 chiffres à la con

1,83 : c'est, en points de %, la progression de Hollande sur Sarkozy entre les deux tours. L'écart était de 1,45 point au soir du 22 avril (519 000 voix) ; Hollande l'emporte finalement avec 3,28 points de marge ; une bascule de seulement 620 000 voix sur 46 millions d'inscrits.

0 : c'est le nombre de candidats qui ont appelé à voter Sarkozy pendant l'entre-deux-tours. Mélenchon, Joly et Poutou ont plus ou moins explicitement appelé à voter Hollande, Bayrou et Cheminade ont indiqué qu’ils voteraient Hollande à titre personnel, Le Pen a appelé au vote blanc, Arthaud a refusé de choisir entre les deux candidats, Dupont-Aignan a laissé ses électeurs libres de leur choix en restant secret sur le sien.

81 % des Français jugent la sortie de Nicolas Sarkozy "réussie" ; mais 6 sur 10 ne croient pas à la fin de sa vie politique (Sofres / I-Télé)



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