Au pays du président normal, on avait toujours eu un goût romantique pour les belles
défaites.
De là à
comparer le revers de Sarkozy aux échecs héroïques de Diên-Biên-Phu ou de
Séville 82, le pas est certes un peu large. Mais tandis que le discours de
Tulle, avec son lyrisme pataud de kermesse d’école primaire, tiédissait le peu
d’ardeur suscité par la première victoire socialiste depuis trois décennies,
Sarkozy, dans des « adieux » étonnamment fair-play, parvenait à
susciter une espèce d’attendrissement nostalgique même chez ceux qui n’avaient
aucun bon souvenir de lui. On a retenu aussi, bien sûr, le geste protocolaire
du 8 mai qui associait ex-président anormal et futur président normal,
revisitant au passage de façon inspirée le concept des « Deux corps du
Roi ».
À
se demander qui des deux avait réellement remporté l’élection présidentielle.
Sarkozy
est un homme profondément paradoxal. Il a vécu ces cinq dernières années dans
un présentisme continuel, tête dans le guidon, dans une présidence de colmatage,
sans vision à long terme de la place de la France dans le XXIe
siècle. Et à l’inverse de cette logique de politique au jour le jour, il a
choisi de toujours dédaigner les journalistes, les cotes de popularité et les
manifestations d’hostilité pour s’en remettre à l’Histoire. « Dans un an, les gens m’adoreront ; en
France, on aime les présidents quand ils sont partis », confiait-il à
Balladur le 11 mai. Il convenait auparavant de réussir sa sortie, après avoir,
au début de son quinquennat, chuté de 20 à 30 points de popularité en l’espace
de six mois. Il convenait donc au préalable de ne pas essuyer l’humiliation que
tous se délectaient à lui promettre depuis un an.
Ne
nous y trompons pas. Pour un animal politique habitué à vaincre tel que
Sarkozy, il y a quelque chose de mortifiant à perdre face à un demi-sel tel que
Hollande ; il y a 18 mois encore, il n’envisageait même pas de
l’affronter. Il y a un an encore, il estimait la place de Hollande due « à une conjoncture astrale fantastique
». Il y a un mois encore, il répétait à qui voulait l’entendre qu’il aplatirait
son adversaire en plateau-télé ; on a vu le résultat. Mais il est
incontestable qu’il était préparé à l’échec. Le 6 mai, lorsqu’il s’est enfermé
avec Guaino en fin d’après-midi, il lui a fait écrire uniquement le discours de
défaite.
Sarkozy n’a
pas perdu par 60-40, ni par 55-45, ni même par l’écart qu’il avait infligé à
Ségolène Royal ; l’étrange soulagement qui transpirait de son discours de
la Mutualité ne pouvait que trahir que le score final, 51,6 % - 48,4 %, était
loin de lui être défavorable. Au point que Jean-Pierre Raffarin osait avancer
sur Twitter, dès le soufflé retombé : « Finalement, l’écart montre que cette élection était gagnable ».
Les professionnels
de la stratégie rétroactive ont massivement glosé sur les tactiques employées
par Sarkozy tout au long de la campagne. On a prétendu, sans aucun fondement d’ailleurs,
qu’il aurait pu mieux faire en se représidentialisant. On a critiqué sa
« droitisation » ; sa « chasse sur les terres du FN ».
Dans une densité de points Godwin
jamais vue dans le débat républicain, on a ressorti tous les bruits de bottes
et toutes les histoires d’heures sombres de nos livres d’épouvante.
Mais
qu’entend-t-on au juste par « droitisation » ? Pas grand-chose,
sauf à considérer qu’un discours de régulation de l’immigration suffit pour
être catalogué à l’extrême-droite. Il serait intéressant de savoir qui profite
réellement de la confusion partout entretenue entre futurs immigrants, immigrés
clandestins, immigrés légaux, immigrés naturalisés, descendants d’immigrés de
première, deuxième, vingtième génération.
Situer le FN à
la droite de l’UMP relève d’une vision très spatialisée – et finalement très
statique – du paysage politique français. Elle laisse entendre – et Marine Le
Pen entretient cette chimère à dessein – qu’une alliance est possible entre les
deux partis, à l’image des ententes socialo-communistes. C’est confondre les
électorats et les partis ; si l’électorat frontiste a, par conservatisme,
trouvé Sarkozy moins repoussant que Hollande, les partis seraient en revanche
tous deux gravement éparpillés en cas de coalition. C’est confondre les actes
et les discours ; Sarkozy a martelé un discours frontiériste en citant du
Debray prédigéré, mais a mené pendant cinq ans une politique atlantico-libérale
aux antipodes du souverainisme. C’est ne pas voir, enfin, que par-dessus
l’antique clivage droite-gauche s’est superposée une autre ligne de fracture
entre mondialisme / libéralisme et patriotisme / républicanisme qui crée des
ponts inattendus, certes, mais sûrement pas entre Sarkozy et le clan Le Pen.
Et c’est au
fond se méprendre sur ce qu’était le sarkozysme ; à savoir une vaste
ratatouille idéologique.
Sarkozy lui-même n’était qu’une force en mouvement, qui piochait au
gré des situations des quignons de pensée politique chez des conseillers et des
proches avec qui il ne partageait que des facettes intellectuelles, pour ne pas
dire des façades. Trop de cuisiniers gâtent la sauce. Guaino, Buisson, Pébereau,
Guéant équilibraient le sarkozysme chacun à leur façon, mais en un patchwork totalement
vide de contenu. Quand le 15 avril à la Concorde le « candidat du peuple » citait quasi-simultanément
Malaparte, puis Bonaparte, De Gaulle, puis Jean Monnet, on hésitait à trancher
entre le simple plaisir du name-dropping et la vraie confusion
intellectuelle.
Voilà ce qu'était le sarkozysme. Un agglomérat
inconsistant de toutes les formes de droites traditionnelles, abâtardies,
dévoyées dans un shaker idéologique fusionnant pêle-mêle néo-gaullisme, néo-maurassisme,
néo-libéralisme et néo-conservatisme. Sarkozy était Napoléon pour les uns,
Badinguet pour les autres.
C’est bien pour cela que Sarkozy
ne pouvait pas avoir de scrupule à pratiquer une politique d’ « ouverture »
au début de son mandat. Un homme uniquement animé par le pragmatisme ne peut avoir de trace de sectarisme.
Ce qu’était le sarkozysme ?
Il faudrait répondre d’abord en allemand et en grec : realpolitik, kairos
(capacité à saisir le moment opportun), et enfin volontarisme – cette foi
inébranlable en l’énergie individuelle qui englobait tout son discours creux sur
la valeur-travail.
Sarkozy est bien plus un mystique
qu’un idéaliste. Il a cru que sa seule force psychologique suffirait à redonner
les rênes de la France au pouvoir politique, sans s’en donner les moyens
concrets. Il a attaqué en toute fin de course les traités européens et les
rouages absurdes de la BCE, après avoir ratifié toutes les délégations de
souveraineté, après s’être mis à l’idolâtrie merkophile – ce fameux modèle
allemand qui a disparu de sa bouche après le mois de janvier, devant la
stagnation des courbes de sondages.
Le
sarkozysme n’a jamais été une doctrine ; il a à peine été une politique. Au
mieux, une force d’adaptation. Paradoxalement, c’est peut-être cela qui a sauvé
son bilan. La moindre tentation de cohérence intellectuelle aurait levé le
voile de façon aveuglante sur le prévisible échec de son agitation, et aurait
fait imploser son parti ; l’UMP, conglomérat improbable de forces de pensée
ayant l’étiquette de droite comme seul bien commun, ne pouvait survivre et être
forte que sous la coupe d’un brillant caméléon. C’est pour cette même raison que
le prochain leader de la droite parlementaire, quel que soit son nom, devra être
un clone politique de Sarkozy ; il devra allier cette capacité
extraordinaire au rassemblement des opposés, au double discours, à l’enfumage
hyperactif. On parle d’un certain Jean-François Copé sur les rangs.
Normal.
Les 3 chiffres à la con
Les 3 chiffres à la con
1,83 : c'est, en points de %, la progression de Hollande sur Sarkozy entre les deux tours. L'écart était de 1,45 point au soir du 22 avril (519 000 voix) ; Hollande l'emporte finalement avec 3,28 points de marge ; une bascule de seulement 620 000 voix sur 46 millions d'inscrits.
0 : c'est le nombre de candidats qui ont appelé à voter Sarkozy pendant l'entre-deux-tours. Mélenchon, Joly et Poutou ont plus
ou moins explicitement appelé à voter Hollande, Bayrou et Cheminade ont indiqué
qu’ils voteraient Hollande à titre personnel, Le Pen a appelé au vote blanc,
Arthaud a refusé de choisir entre les deux candidats, Dupont-Aignan a laissé
ses électeurs libres de leur choix en restant secret sur le sien.
81 % des Français jugent la sortie de Nicolas Sarkozy "réussie" ; mais 6 sur 10 ne croient pas à la fin de sa vie politique (Sofres / I-Télé)
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